Une seule foi sous plusieurs toits


Ce mercredi s'ouvre la semaine de prière pour l'unité des chrétiens. Une brochure éditée par le Comité interecclésial de Bruxelles a diffusé à cette occasion une brochure proposant divers textes «pour cette semaine et pour toute l'année 2023». Avec une citation en exergue: «Apprenez à faire le bien, recherchez la justice» (Ésaïe 1, 17). Cette semaine sera marquée par une journée œcuménique programmée ce dimanche 22 janvier, à 18 heures, au temple de Verviers-Hodimont.
Mais que peut-on entendre par «unité des chrétiens»? Et comment réunir des personnes qui ne se connaissent pas? Dans cet esprit, nous avons approché les différentes communautés chrétiennes de Verviers. Aux pasteures protestantes Françoise Nimal (Verviers-Hodimont) et Heike Sonnen (Verviers-Laoureux et Spa), au pasteur protestant de l'Église chrétienne évangélique de Verviers-Harmonie, Samuel Evans, et au recteur de la paroisse orthodoxe de la Dormition de la Mère de Dieu, Emmanouil Karasavidis, nous avons posé les mêmes questions:

  • Quelles relations existent déjà entre votre communauté et les autres communautés chrétiennes de Verviers et environs?
  • Peut-on envisager une unité plus grande à l'avenir? Sous quelle forme?
  • L'Église catholique romaine souffre d'un manque de vocations et voit la pratique religieuse se raréfier. En va-t-il de même pour votre communauté?
Pour chacun(e) de nos interlocuteur(trices), la question initiale portait sur la présentation de leur communauté.

Une tradition réformée « libérale et démocratique»

« À Verviers, il y a deux paroisses protestantes membres de l’Église protestante unie de Belgique, celle de Hodimont, où je suis pasteure, et celle de la rue Laoureux. Historiquement, elles sont issues de courants un peu différents. Les origines de l’’Église de Hodimont remontent à la Réforme. Le premier procès-verbal du Consistoire de l’Église Réformée de Hodimont et Petit-Rechain est daté du 5 mars 1634 !», explique Françoise Nimal. «Elle est liée à la tradition dite "libérale" : le libéralisme protestant (à ne pas confondre avec un courant politique) est un courant qui se caractérise par une approche assez libre et critique de l’Ecriture, et une certaine méfiance à l’égard des affirmations doctrinales et du dogmatisme»«Nous sommes "dans la tradition de la Réforme", multitudinistes (on accueille tout le monde, et ouverts», conclut la pasteure de Verviers-Hodimont
«Nous nous inscrivons dans la tradition réformée de Jean Calvin, qui a proposé une organisation beaucoup plus démocratique des paroisses que Martin Luther, dont le modèle était calqué sur celui de l'Église catholique» confirme Heike Sonnen. «Nous avons toujours ce modèle d'organisation: tout se fait de manière collégiale. Le pasteur ou la pasteure se tient au milieu des anciens au sein du consistoire. Et nous avons un troisième groupe, celui des diacres, qui pratiquent l'amour du prochain». À Spa, dont la pasteure de Verviers-Laoureux a aussi la charge, «il y a un petit groupe de fidèles de tradition plus évangélique, qui souhaitent un moments de prière libre pendant le culte»

Spa, où le protestantisme s'est implanté à l'époque du développement du thermalisme, pour les curistes relevant de ce culte, signale au passage Heike Sonnen. 

«Ne pas mettre tous les évangéliques dans le même sac»

Samuel Evans: «ne pas mettre tout le monde dans le même sac»

Du côté de Verviers-Harmonie, le pasteur, Samuel Evans, estime «qu'il serait dommage que des personnes qui en auraient besoin ne fassent pas le pas de franchir la porte d'une église évangélique à cause de ce qu'elles auraient entendu dans les médias sur les évangéliques en général et sur les évangéliques aux États-Unis en particulier».
De manière peut-être un peu provocatrice, nous lui avions demandé si sa paroisse ne souffrait pas de l'image des évangéliques américains, de leur réputation de conservatisme, et de leur soutien assez large à l'ex-président Donald Trump. «Pour l'instant nous n'avons pas fait face à ce problème», balaie Samuel Evans, «mais il est clair que ça pourrait être un obstacle pour quelqu'un qui se poserait des questions sur la foi. Toutefois, tous les chrétiens évangéliques américains ne sont pas à mettre dans le même sac et il ne faut pas écouter que des gens qui ont les mêmes idées que nous».

«Pour les Grecs, mais pas rien que pour eux»

Emmnaouil Karasavidis, de son côté, tient à préciser que la paroisse de la Dormition de la Mère de Dieu «accueille sans doute de nombreux fidèles grecs, mais elle est ouverte à tout le monde. Et nous accueillons d'ailleurs des fidèles qui ne sont pas grecs. Le culte s'y célèbre d'ailleurs en grec et en français, et tout le monde peut y participer»
La guerre en Ukraine, précédée par le revirement de l'Église ukrainienne qui n'a plus reconnu la primauté du patriarcat de Moscou au bénéfice du patriarcat de Constantinople, divise le monde orthodoxe, «mais pas à Verviers, où il n'y a pas pas de fidèles orthodoxes qui relèvent du patriarcat de Moscou» ajoute Emmanouil Karasavidis. «Je sais qu'une église, à Seraing, relève du patriarcat de Moscou, mais les fidèles du Laveu, à Liège, qui relèvent du patriarcat de Constantinople, continuent à fréquenter leur église». 
On sait aussi le pape François et Bartholomée, le patriarche de Constantinople très proches, «et c'est bien qu'ils se rencontrent et participent à des cérémonies communes. Cela peut-il conduire plus loin? Cela dépendra de la volonté de Dieu...»

Quelles relations entre les communautés chrétiennes?

  • «Aux environs des années 60-70, nous participions à des études bibliques œcuméniques, avec entre autres l'Armée du Salut et l'église protestante de la rue Laoureux. Nous faisons partie d'un réseau d'églises qui s'appelle les Assemblées de Dieu Francophones de Belgique (ADFB), qui compte une trentaine d'églises en Belgique francophones et qui organise, entre autre,  tous les ans une convention de Pentecôte, où chacun est bienvenu, et il n'est pas rare d'y voir des chrétiens d'autres réseaux d'églises. Les ADFB font partie du Conseil Administratif du Culte Protestant et évangélique, qui lui même fait partie du Synode fédéral. Nous avons également de bonnes relations avec plusieurs églises de la région, et même au-delà, notamment l'église protestante baptiste de Malmedy: nos enfants et ados vont aux camps qu'ils organisent et nous organisons ensemble une rencontre pour les ados deux fois par mois. Lors des inondations de juillet 2021, des chrétiens de toute la Belgique, y compris d'autres réseaux d'églises, sont venus jusqu'ici, de Charleroi, d'Anvers, de Bruxelles... pour apporter des vivres et du matériel de première nécessité et des appareils électro-ménagers, pour que nous puissions aider les sinistrés. Nous avons aussi organisé en juillet 2022, sous l'égide des ADFB, 4 samedis de concerts/d'annonce de la bonne nouvelle pour lesquels nous avons envoyé un mail d'invitation à plusieurs responsables chrétiens de Verviers et alentours, y compris catholiques et orthodoxes. Des chrétiens sont venus d'églises protestantes évangéliques de toute la Belgique pour ces 4 samedis». (Samuel Evans)

  • « Sur Verviers, nous avons de bonnes relations avec les communautés catholique et orthodoxe (et avec l’Armée du Salut, tant que le poste existait encore), et il y a de belles occasions de partage : la semaine de l’Unité (la célébration œcuménique mais aussi des échanges de chaire et une conférence culturelle, cette année le 18 janvier avec Jean-Yves Buron comme invité), les célébrations patriotiques (le 11 novembre mais aussi la participation protestante au Te Deum du 21 juillet) et d’autres occasions comme la célébration de la Flamme de la Paix. Il existe aussi un petit groupe de "chrétiens en transition", qui rassemble des catholiques et des protestants autour des enjeux climatiques». (Françoise Nimal)
  • Heike Sonnen: «des parcours spirituels très individuels»

    «Je suis personnellement très favorable à la diversité. De plus en plus, dans notre société, je rencontre des gens avec des parcours spirituels très individuels, et au plus on est divers, au plus on a de capacité à rencontrer leurs besoins. Ainsi, si, à Verviers-Laoureux, on reste dans une forme assez classique; à Spa, on a une petite communauté qui va vers l'autre: quand il y a eu une vague de réfugiés iraniens, on a traduit le culte en farsi. Et on a même eu six baptêmes d'adultes une année. Récemment, on a pris contact avec les réfugiés ukrainiens: à partir de ce samedi, ils vont célébrer leur culte orthodoxe deux fois par mois dans notre temple spadois»
    (Heike Sonnen) 
    «Nous avons de temps en temps des cérémonies communes avec les autres communautés chrétiennes de Verviers et environs, mais le plus souvent, ces célébrations réunissent les catholiques et les protestants. Mais quand il y a la semaine chrétienne pour l'unité, ou une manifestation commune, dans la mesure du possible, nous tenons à être nous aussi présents» (Emmanouil Karasavidis)

Une unité plus grande à l'avenir? Sous quelle forme?

  • « Mon expérience personnelle, c'est qu'au plus on avance vers l'essentiel, vers le pur spirituel, la rencontre avec Dieu, au plus les différences s'effacent. Au plus on se concentre sur le Christ, dans une attitude de bienveillance, de compassion, d'amour universel, au plus on est dans une attitude de non-jugement, qui exclut de se considérer au-dessus des autres. Et puis il y a des moments importants, où on se prononce ensemble, sous la dénomination chrétienne. Par exemple, après les inondations catastrophiques de 2021, il y a une lettre ouverte commune de toutes Églises chrétiennes de la région de Liège, pour interpeller les autorités en faveur des sinistrés. Cette lettre a été lue dans nos églises et temples à l'occasion du 11 novembre, et les autorités se sont vraiment senties concernées. Plusieurs échos me l'ont confirmé par la suite». (Heike Sonnen)
  • Françoise Nimal rêve d'un cycle d'études bibliques en commun

    «On peut toujours faire plus et mieux ! Mais ce qui est bien, c’est qu’à Verviers les choses restent fort conviviales et informelles. Par exemple on va travailler sur tel ou tel projet commun ponctuel (comme le "circuit des crèches"  en décembre) sans nécessairement avec une "concertation œcuménique" qui se réunit périodiquement, comme ça se fait à Liège ou Bruxelles. Pour ma part, je rêverais d’un cycle d’études bibliques en commun, par exemple une fois par mois…»
    . (Françoise Nimal)
  • Le déménagement de l'église orthodoxe de la rue de Limbourg reste à réaliser

    «Je ne vois pas
    a priori comment on pourrait améliorer la tradition qui existe déjà en région verviétoise et la semaine de l'unité. Il est vrai par ailleurs qu'une église catholique nous est destinée, mais le déménagement de notre église de la rue de Limbourg n'a pas encore eu lieu, car il reste des éléments de procédure à finaliser» (Emmanouil Karasavidis)
  • «Nous pouvons envisager de prier ensemble pour la région et le pays, ou d'organiser des événements qui donneraient envie de croire, des projections de films, des projets d'aides aux démunis, aux réfugiés, d'alphabétisation etc...» (Samuel Evans)

Crise des vocations et raréfaction de la pratique religieuse?

  • « La raréfaction de la pratique religieuse est une tendance lourde qui touche également le protestantisme. Le christianisme en Europe est sans doute un peu "has been"… La sécularisation est bien là ! La crise sanitaire a eu un impact très visible, aussi. De plus en plus de chercheurs explorent cette question, tant du point de vue catholique que protestant. Ayons confiance que nous saurons nous renouveler pour continuer à annoncer l’Évangile de façon pertinente pour les générations présentes et futures ! Par contre, la crise des vocations est moindre, pour des raisons sans doute liées à une plus grande ouverture : il y a des femmes pasteures (et donc, de fait, on ne se prive pas d’emblée de la moitié des appelé-e-s possibles !), on peut être pasteur-e et marié-e (en couple hétéro- ou homosexuel), vivre une vraie vie de famille: ça rend le ministère moins… disons,…austère et sacrificiel. Mais surtout, il n’y a pas de statut à part. Comme disait Luther, le ministère pastoral est un métier (pas un sacerdoce !). Sortir d’une logique "cléricale" serait certainement une bonne chose pour l’Église catholique (ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des amies catholiques belges mais aussi française, très impliquées dans l’Église)» (Françoise Nimal) 
  • «Dans nos églises aussi, si nous conservons la deuxième génération (immigrée), la troisième, elle, n'est plus présente. Sauf à l'occasion de certaines célébrations, lors de la commémoration des défunts, lors des grands fêtes, Noël ou Pâques, ou dans des moments de faiblesse quand ils cherchent des recours, on retrouve alors des jeunes parmi nos assemblées». (Emmanouil Karasavidis)
  • «À nouveau, c'est une analyse personnelle: j'ai le sentiment qu'on a perdu le contact avec cette génération numérique, qui a grandi dans un univers très matérialiste, sans connaître de grande crise - moi non plus d'ailleurs - et qui, de manière générale, ne ressent plus le besoin d'une recherche profonde de sens, ou de spirituel. Cette génération rejette toute forme d'enseignement dans un sens moralisateur. Comme si entrer dans l'Église, c'était abandonner son cerveau! Et du coup, Dieu n'est plus dans leur expérience de la vie quotidienne. J'ai suivi l'école des rites, avec Gabriel Ringlet. Basée sur l'idée qu'il faut des rites pour accompagner la vie. Mais la question fondamentale, pour lui, est "est-ce que pour vous, il y a quelqu'un de plus grand que vous?" Si la réponse est positive, on peut travailler ensemble... Sur le plan des vocations, c'est vrai que les protestants ont des femmes pasteures. À long terme, pur un jeune, voir une structure dont la moitié de l'humanité, les femmes, est exclue, cela peut être démotivant. Mais cela ne suffit pas à résoudre la question de la baisse de la pratique religieuse» (Heike Sonnen)