HOMELIE DE LA MESSE DE CLÔTURE DU JUBILE DE STE THERESE DE LISIEUX

 Eglise sainte Thérèse d'Andrimont (Ottomont), le 29 octobre 2023

"Par la confiance et l'amour"




Chers amis, frères et sœurs,

Voici qu’une fois de plus, nous sommes rassemblés autour du Seigneur qui nous place en modèle un enfant devant nos yeux, comme il l’avait fait pour ses apôtres jadis. Cet enfant, c’est sainte Thérèse. Son nom complet est « Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face ». Elle est grande, pleinement adulte et élevée aux autels il y a 100 ans cette année (sa béatification), mais elle est aussi toute petite, on l’appelle souvent « la petite Thérèse » : c’est sa grâce, l’enfance spirituelle qu’elle a découverte et pratiquée.

Les saints nous sont donnés comme des invitations, des chemins d’humanité pour nous faire grandir en sainteté. Thérèse est donc cadeau de Dieu pour nous. Et elle n’est pas un modèle écrasant, loin de là !

Je me suis souvent dit : quelle chance d’avoir dans notre UP une église et une paroisse dédiée au patronage de sainte Thérèse de Lisieux ! Quelle chance, oui, car comme nous l’avait expliqué le diacre Marc Lemaire lors de la veillée d’intercession à Ste Thérèse le 12 mai dernier, le message qu’elle nous transmet est vraiment un message actuel, un message pour notre temps – comme l’est celui de saint François d’Assise au niveau de l’écologie spirituelle. Un message si important que le pape François vient de publier une exhortation apostolique consacrée à Thérèse et à son intuition.

Je vais essayer de le résumer comme je le comprends. Ce message est aussi important pour moi, pour ma vie. Il est tout entier contenu dans ces mots de Thérèse retenus en titre de notre célébration et qui sont les derniers mots inscrits de sa main dans son autobiographie : « PAR LA CONFIANCE ET L’AMOUR ».



Qu’est-ce que cela veut dire ?  C’est la conclusion de sa vie, mais qui se termine comme sur des points de suspension, c’est-à-dire qui ne se termine pas : ce chemin, SON chemin continue dans l’infini. Il se poursuit éternellement dans cette dimension qui est celle de Dieu, car la confiance et l’amour n’ont pas de fin si on les place en Dieu, et si on les reçoit de Lui.

Le préfixe « PAR » indique bien un chemin. C’est celui que Thérèse nous propose aujourd’hui, à nous chrétiens de 2023, ici dans notre UP du Sacré-Cœur ou ailleurs. Sa « petite voie »…

Pour rester concret, je vais tâcher de l’illustrer au travers de mon témoignage personnel.

Bien. Comme chacun et chacune de nous, les événements qui ont marqué mon enfance et ma jeunesse ont fait ce que je suis. Les personnes aussi, évidemment. Dans ma jeunesse, j’ai osé entreprendre certaines choses grâce à l’exemple de gens que j’ai admiré, et qui m’ont communiqué un idéal. Comme animateur de Patro, puis étudiant en sciences sociales pour devenir Travailleur social, comme séminariste ensuite, je me suis lancé dans ces expériences pour partager ce que la vie m’offrait de meilleur : l’amour de Dieu et des autres. C’est la CONFIANCE reçue à travers de bonnes personnes qui m’a permis d’oser dépasser une timidité qui était la mienne durant mon enfance, la crainte d’être incapable, et la peur d’être jugé – car je provenais d’une famille plus jugeante que soutenante…

Vous savez ce que c’est d’être timide ? Ou bien de ne pas se sentir à sa place dans ce monde brutal et de compétition ? Alors vous savez ce que je pouvais ressentir en tant que jeune adolescent et ce que j’ai dû surmonter pour me construire. Je me sentais proche de Dieu et de Jésus, mais un peu comme un refuge.

L’appel à la prêtrise, ressenti plusieurs fois au cours de ma jeunesse et auquel j’ai répondu joyeusement après pas mal de recherches et de questionnements, cet appel a transformé ma vie. Mes études m’ont passionné, et dans la mission s’ouvrait à moi un tas de nouveaux champs d’expériences, alors que j’approfondissait la CONFIANCE grâce à la prière que j’apprenais auprès de mes maîtres. Les Psaumes dans la Liturgie des Heures me parlaient particulièrement – beaucoup de psaumes invitent à l’abandon à Dieu dans la confiance.

Cependant, au moment d’être ordonné diacre en vue du sacerdoce et de faire le pas décisif, il y eut encore un combat, qui a duré plusieurs jours. Je ne dormais plus, j’étais angoissé : Et si je m’étais trompé ? Si je me révélais incapable d’assumer tout ce que la prêtrise impliquait ? J’étais à nouveau plein de doutes. Cela, jusqu’au moment où j’ai dit au Seigneur : « Bon, Seigneur, tu me connais, tu sais comme je suis – avec mes limites et mes pauvretés. Si tu m’as choisi pour ce job, eh bien tu devras faire avec ce que je suis ! Moi je dis oui, à toi de faire le reste et de te débrouiller ! »

Tout de suite mes peurs ont disparu. J’étais à nouveau serein, plein de CONFIANCE. J’ai poursuivi mon chemin vers la prêtrise, en vivant un stage formidable en paroisse à Liège avec un prêtre d’une grande qualité humaine et spirituelle, l’abbé Mathias Schmetz qui a encore renforcé ma CONFIANCE, et après l’ordination, quand je suis revenu au séminaire et que j’ai pris l’ascenseur pour monter dans ma chambre, dans la cabine j’ai regardé mes mains qui venaient d’être ointes d’huile sainte, et je me suis dit : « Bon, c’est fait ! Maintenant, au travail ! »

Au cours de toutes mes années en paroisse, où bien sûr j’ai vécu de belles et magnifiques choses et donné le meilleur que je pouvais donner, mais aussi à certains moments, rencontré des difficultés, des obstacles et parfois des échecs, j’ai compris une chose :

=> Ce qui nous limite et empêche la vie de se déployer, empêche l’amour et la confiance, C’EST LA PEUR.

Les échecs et les difficultés, ce n’est pas grave. On en rencontrera toujours. Mais s’ils engendrent la peur, on n’en sortira pas ! Tandis que la CONFIANCE, elle, fait toujours trouver de nouveaux chemins. Pour prendre une image que j’ai souvent citée en particulier auprès de personnes en deuil : « La vie c’est comme une rivière ; vous avez beau mettre des pierres, des branches, toutes sortes d’obstacles, et l’obliger à faire des méandres, elle va toujours trouver son chemin, elle n’arrêtera pas de couler ! » 

La vie c’est quelque chose de plus fort et de plus grand que nous. Parce qu’elle vient de Dieu qui nous la donne à chaque instant. Si je mets ma confiance en moi tout seul, je suis foutu. Tôt ou tard je me casserai la pipe. Mais si je mets ma confiance en DIEU qui donne la vie et qui fait en sorte que tout peut devenir grâce, même l’échec, alors tout est toujours possible. On peut recommencer, repartir à zéro. À condition de continuer à AIMER. « Quand on aime, c’est toujours réussi », répétait un prêtre très humble que j’ai admiré, l’abbé Foguenne.

Se laisser aimer aussi, par Dieu mais aussi par les autres, se laisser aimer comme on est : c’est aussi quelque chose que j’ai appris de mes années de prêtrise. Il y a tant de bonnes personnes qui supportent nos imperfections et qui nous aident à grandir par leur confiance et leur amitié ! Parfois, certains n’y arrivent pas parce qu’ils n’aiment pas l’image qu’ils ont d’eux-mêmes : ils se sentent trop moches, pas dignes d’amour, ils mettent la barre trop haut, parfois peut-être par orgueil… La petite Thérèse leur rappelle que l’amour de Dieu n’est pas réservé aux parfaits, mais est donné à tous et à chacun, pourvu qu’on s’abandonne à la Miséricorde divine qui peut tout.

 

Voilà. Quoi que j’aie fait de ma vie, je remercie le Seigneur et sainte Thérèse, qui m’a accompagnée au long de mes années et dans mes pérégrinations, toutes mes rencontres. Il y a des choses que j’ai bien faites, d’autres moins ou pas. Mes erreurs, c’est surtout quand je laissais la PEUR prendre le pas sur la confiance. Mais au bout du compte, je puis dire comme Saint Paul : « Tout est grâce ! »

Frères et sœurs, la PEUR dirige notre monde aujourd’hui. Elle nourrit la guerre, elle engendre le repli sur soi et l’égoïsme, la méfiance. Elle n’est pas absente de la vie de l’Eglise non plus, surtout dans une époque comme la nôtre qui est une époque de changements et d’inconnues.

Nous devons tous lutter contre la peur. Notre seule arme est LA CONFIANCE ET L’AMOUR. Mais ce sont des armes très puissantes. Dans notre monde en proie à tant de peurs et de suspicions, Thérèse ne cesse de nous exhorter à tout miser sur la confiance et la miséricorde. Ayons compassion de nos frères, aimons-les comme ils sont et comme nous sommes, en nous laissant aimer par Dieu notre papa du Ciel : alors renaissent la confiance, l’espérance, la reconnaissance.

C’est ce que nous a appris un petit Enfant, jadis, dans une crèche à Bethléem, et que nous redit en ce jour la petite Thérèse.

Devenir comme un petit enfant, c’est apprendre la confiance. Refuser la peur. - L’enfance spirituelle n’a rien à voir avec l’infantilisme, les caprices : ce n’est pas être crédule, passif, innocent. Mais c’est accueillir la miséricorde, s’émerveiller des actions du Seigneur, tout attendre de Lui. Cela ne veut pas dire qu’on ne fait rien et qu’on se résigne au mal : au contraire, on travaille à la transformation du monde et on s’unit à la Croix de Jésus qui a sauvé le monde. C’est un chemin exigeant et réaliste, mais qui est accessible à tous.

Je voudrais résumer pour vous sa « petite voie » en douze propositions, que je nous invite à prendre à notre compte :

Ne pas compter sur nos mérites, mais espérer en Dieu qui est notre soutien.
Ne pas s’étonner des faiblesses des autres, mais s’édifier de leurs qualités.
Ne pas désespérer des échecs, mais supporter nos imperfections.
Ne pas s’appuyer sur nos propres forces, mais prendre l’ascenseur de l’amour.
Ne pas vouloir tout faire avec effort, mais laisser faire Jésus humblement.
Ne pas rechercher ce qui brille, mais rester caché entre les bras de Jésus.
Ne pas privilégier ce qui est extraordinaire, mais prendre les moyens ordinaires, choisir la simplicité.
Ne pas penser aux peurs qui paralysent, mais s’abandonner au Père.
Ne pas comptabiliser les œuvres, mais étancher la soif de Jésus.
Ne pas s’attribuer les progrès, mais reconnaître que tout vient de Dieu.
Ne pas se décourager, mais croire qu’on est digne d’être aimé.
Ne pas se révolter ou se complaire dans la souffrance, mais fixer le regard sur Jésus.

PAR LA CONFIANCE ET L’AMOUR…  Amen.




EXTRAIT DE LA LETTRE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANCOIS SUR "SAINTE THERESE"

En un temps qui nous invite à nous enfermer dans nos intérêts particuliers, Thérèse nous montre qu’il est beau de faire de la vie un don.

À un moment où les besoins les plus superficiels prévalent, elle est témoin du radicalisme évangélique.

En un temps d’individualisme, elle nous fait découvrir la valeur de l’amour qui devient intercession.

À un moment où l’être humain est obsédé par la grandeur et par de nouvelles formes de pouvoir, elle montre le chemin de la petitesse.

En un temps où de nombreux êtres humains sont rejetés, elle nous enseigne la beauté d’être attentif, de prendre soin de l’autre.

À un moment de complexité, elle peut nous aider à redécouvrir la simplicité, la primauté absolue de l’amour, la confiance et l’abandon, en dépassant une logique légaliste et moralisante qui remplit la vie chrétienne d’observances et de préceptes et fige la joie de l’Évangile.

En un temps de replis et d’enfermements, Thérèse nous invite à une sortie missionnaire, conquis par l’attrait de Jésus Christ et de l’Évangile.

 

Un siècle et demi après sa naissance, Thérèse est plus vivante que jamais au cœur de l’Église en chemin, au cœur du Peuple de Dieu. Elle est en pèlerinage avec nous, faisant le bien sur la terre, comme elle le désira tant. Les innombrables “roses” que Thérèse répand sont le signe le plus beau de sa vitalité spirituelle, c’est-à-dire les grâces que Dieu nous donne par son intercession comblée d’amour, pour nous soutenir sur le chemin de la vie.


Chère sainte Thérèse,
l’Église a besoin de faire resplendir
la couleur, le parfum, la joie de l’Évangile.
Envoie-nous tes roses.
Aide-nous à avoir toujours confiance,
comme tu l’as fait,
dans le grand amour que Dieu a pour nous,
afin que nous puissions imiter chaque jour
ta petite voie de 
sainteté.
Amen.


François, pp