Une vraie rencontre ? Ch. Pépin

 

Pour prolonger la réflexion…

 

 

“Qu’est-ce qu’une vraie rencontre ?”

 

 


 

En vue d’un futur projet pastoral pour notre communauté du Sacré-Cœur

 




Quelles sont les conditions d’une vraie rencontre ? Quels en sont les signes ?

Curiosité, vulnérabilité, stimulation, mutation… Une « vraie » rencontre est celle dont on ressort changé. Autrement, à quoi pourrait-on dire qu’il y a eu rencontre ? Si j’ai changé en te rencontrant, c’est que j’ai rencontré l’altérité en toi, mais aussi en moi. Avant de te rencontrer, je ne savais pas qu’existait en moi cette part de moi. Tu m’as appris qu’il n’était pas trop tard en moi pour cette part de moi : voilà...

 

Préambule

En ce moment, nous avons tous faim de belles rencontres, après en avoir été empêchés par la crise sanitaire. Les jeunes notamment, avides de rencontres qui transforment et magnifient leurs existences. Ces rencontres qui nous permettent d'être en résonance avec le monde, de nous retrouver nous-mêmes…

Mais quelles sont les conditions d’une vraie belle rencontre ? Pourquoi certaines nous laissent sur notre faim ? Et pourquoi d'autres, même brèves, nous marquent à vie ? Comment se fait-il que nous ayons toujours tendance à fréquenter toujours les mêmes personnes dans les mêmes cercles de connaissances ? Au fait, les rencontrons-nous vraiment ?

Ces questions, nous nous les sommes posées au niveau de notre vie d’Eglise, en communauté, en unité pastorale. Elles nous interpellent sur notre capacité à nous ouvrir véritablement à l’autre, les autres – qu’ils soient chrétiens ou non. C’est un enjeu fondamental pour la mission, et même la survie de nos communautés… Et la raison du thème de la messe de ce 5ème dimanche.

Pour nous éclairer, nous avons recueilli ces réflexions de l’écrivain-philosophe Charles Pépin :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/qu-est-ce-qu-une-vraie-rencontre-5442021

Charles Pépin : "La rencontre est une promesse", Ed. Allary, 2020

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     -Pourquoi vous-êtes vous intéressé au thème de la rencontre ?

Charles Pépin : J’ai toujours été surpris par notre utilisation de la formule « Je suis très heureux de vous avoir rencontré. » Je ne doute pas qu’elle soit plutôt sincère, mais en général, nous oublions assez rapidement la personne quelque temps après. Cela m’a poussé à réfléchir sur le concept de rencontre.

L’idée de la rencontre se retrouve partout : réseaux sociaux, ateliers pour "networker" en milieu professionnel, et même applications pour trouver le grand amour…! Mais toutes ces occasions d’entrer en contact avec l’autre ouvrent-elles la possibilité à une « vraie » rencontre, celle qui bouscule notre vision du monde et parfois même notre conception de la vie ? C’est loin d’être le cas !

 

Au fond, qu’est-ce qu’une vraie rencontre ? Cette question qui peut paraître anodine est en réalité très fertile. Elle interroge, par exemple, de façon assez profonde nos crispations identitaires avec l’idée que, la meilleure façon de s’ouvrir à d’autres dimensions de la vie, c’est de vraiment rencontrer les autres. Finalement, on ne peut pas savoir qui l’on est si on ne rencontre pas autre chose que soi. Notre identité peut, certes, sembler être un refuge en ces temps un peu troublés, mais peu de gens savent véritablement qui ils sont, car ils n’ont jamais vraiment rencontré personne.

 

« Une vraie rencontre est celle qui agrandit notre regard sur le monde »

 

L’autre, dans la vraie Rencontre, n’est pas ce miroir où s’admirer, mais bien une possibilité intense, de vivre à travers un autre univers, d’élargir le sien, en toute humilité. … Il y a des risques à prendre, des certitudes à remettre en perspective dans ces rencontres : mais elles nous mettent en mouvement, nous font sortir de cette zone de confort tapissée de nos certitudes. Nous sommes des êtres grégaires, oui, mais pas seulement. On peut passer sa vie entouré, mais sans jamais rencontrer personne. Il n’est pas si simple de sentir qu’on « reconnait » l’autre, dans sa plus brute et pure expression.

- Qu’est-ce qu’une « vraie » rencontre selon vous ?

 

Charles Pépin : Probablement, une rencontre qui me change. Une rencontre après laquelle je ne suis plus le ou la même, qui me fait douter de mes certitudes, qui, quelque part, m’aide à voir la vie autrement et m’aide à agrandir mon regard sur le monde. Il y a quelque chose d’un peu mystérieux. C’est ouvrir les yeux sur un réel qui est différent de ce que j’attendais, mais qui est plus intéressant que l’idée que je m’en faisais. Peut-être que dans une vraie rencontre, ce qui se joue, c’est la reconnaissance que le réel est plus beau que l’idéal ou le fantasme. Au cœur d’une vraie rencontre, il y a une surprise. Quelque chose qui déjoue mes attentes et qui, paradoxalement, me semble étonnant et familier à la fois.


-   A l’heure du numérique, alors que nous relevons trop rarement le nez de nos multiples écrans, une vraie rencontre est-elle possible ?

Charles Pépin : C’est le soupçon qui ouvre ma prochaine conférence. Nous pouvons douter, émettre l’idée que l’on ne rencontre jamais vraiment l’autre, que nous ne faisons que de le fantasmer, surtout lorsque la rencontre se passe « en ligne ». Nous avons des critères et des attentes qui entravent la possibilité de la rencontre. Une fois ce questionnement passé, il apparaît que la vraie rencontre existe, mais qu’elle demande une disponibilité à la surprise et à la nouveauté. Elle nous demande d’être capable d’improviser, de prendre un risque en sortant du cadre de ce que nous avions prévu et anticipé. Souvent, ce qui empêche de rencontrer les autres, c’est que nous souhaiterions qu’ils soient tels que nous l’avions prévu. J’ai l’impression que la vraie rencontre c’est toujours la rencontre de la personne que l’on n’attendait pas, qui ne correspond pas à ce que l’on cherchait, mais qui finalement est celle que l’on a trouvée.


-  Ce dont vous parlez ici ne concerne-t-il que la rencontre amoureuse ?

Charles Pépin : J’ai plutôt une approche transversale, je parle autant de la rencontre amicale que professionnelle, mais aussi de la rencontre des œuvres d’art, du monde… Mais il est vrai que la question de la rencontre amoureuse est sûrement celle qui fait couler le plus d’encre car c’est certainement la plus intéressante à questionner philosophiquement : est-ce que vraiment, lors d’une rencontre amoureuse, j’arrive à accueillir la différence de l’autre ? Ne suis-je pas plutôt toujours en train de la réduire pour l’accepter ou l’instrumentaliser ? Au fond, est-on capable de faire l’expérience de la réalité de l’autre ?

Et à chaque fois la preuve que cette rencontre est plus qu'un simple croisement, c'est qu'elle nous permet de voir notre carapace identitaire fissurée. Il y a un trouble, un contact avec ce qui n'est pas soi, qui est au fond la meilleure façon de devenir soi (...) La vraie rencontre me change, elle me modifie.

-  Soyons honnêtes, à partir d'un certain âge, on se dit "j'ai ma petite vie, j'ai quelques amis, la famille... Je suis bien". Comment je vais aller faire de nouvelles rencontres ? J'arrive pas à y aller, j'ai peut-être pas envie, pas besoin. Comment on dépasse ça ?

Charles Pépin : On dépasse en comprenant que le mouvement même d'une vie humaine est un mouvement qui fait qu'on sort de son habitude, de sa certitude, pour aller à la rencontre de la nouveauté. Parce qu'autrement on va s'étioler. On va avoir une vie diminuée, une vie rétrécie. Comme la vie qu'on a un petit peu maintenant avec la crise du Covid. Ce qu'on peut se dire aussi, c'est que c'est intéressant de découvrir l'altérité, que je vais me nourrir, que je vais aussi être ébloui. Et quelque part, même si on n’a pas l’occasion de rencontrer des personnes nouvelles, on peut aussi approfondir la relation avec quelqu'un que je connais déjà, pour ne pas passer à côté de quelqu'un avec qui on vit. Ça arrive souvent malheureusement (...)

 

-Est-ce que la rencontre ouvre à la responsabilité ?

 

Charles Pépin : Oui, la rencontre inaugure souvent le début d'une perspective morale. Avec l'association Lire pour en sortir, je suis allé récemment faire de la philosophie à la prison de la Santé, à Paris. Un homme m'a beaucoup touché. J'ai compris que j'aurais pu être à sa place. Je ne sais pas ce qu'il a fait, il me ressemble. Dès que je l'ai rencontré, je me suis senti redevable et j'ai pensé à la belle phrase de Lévinas : "Répondre à quelqu'un, c'est déjà répondre de lui." Nous avons échangé, cela se poursuit, d'une certaine manière. Ce n'est pas possible tout le temps. Nous sommes souvent égoïstes, autocentrés, mais certaines rencontres nous rappellent, concrètement, que nous sommes des êtres moraux, c'est-à-dire responsables des autres. « Tu es responsable de ta rose », disait le renard au Petit Prince de Saint-Exupéry. 

 

-  Peut-on éduquer à la rencontre ?

Oui, en faisant une place à l'improvisation. Les facteurs propices à la rencontre sont ceux qui brisent l'habitude. Toute rencontre exige de la disponibilité ; elle nous invite à sortir de l'obsession de la prévisibilité et de la passion négative de l'anticipation. À l'école, à la fac, en thérapie, partout on devrait nous apprendre à improviser… La vraie vie, c'est l'improvisation. On n'est jamais aussi vivant que lorsqu'on se rend disponible au surgissement de l'inconnu.

 


« élargissons l’espace de notre tente ! »

C’est le titre et l’invitation de la Lettre pastorale d’Avent de l’évêque Mgr Delville

« Déployer les toiles signifie : élargir notre point de vue sur les autres et les accueillir plus largement » Aller vers l’autre implique le développement d’une véritable pastorale de la visitation, une pastorale de la rencontre, écrit l’évêque.

 

Isaïe 54 :2  « Elargis l’espace de ta tente; Qu’on déploie les couvertures de ta demeure: Ne retiens pas ! Allonge tes cordages, Et affermis tes pieux ! »

Dans nos prières nous demandons des fois au Seigneur d’élargir l’espace de notre cœur, ce qui n’est pas mauvais en soi. Cependant, élargir l’espace de notre tente, c’est-à-dire de notre vie chrétienne, obéit à un certain nombre de principes.

Elargir l’espace de notre tente, peut être défini comme étant le fait d’avoir de nouvelles dispositions. C’est aussi, le fait d’opérer un ou des changements en ayant désormais les regards fixés sur le Seigneur et sur ce qu’Il nous dit.

Élargir l’espace de notre tente, c’est dans le sens d’élargir, agrandir, accroître, et étendre nos limites. L’élargissement vient lorsque l’espace devient restreint pour contenir les choses à venir (les promesses du Seigneur pour nous).

La tente, au-delà de symboliser le lieu de rencontre avec Dieu, on pourra aussi la traduire comme l’élément catalyseur qu’il nous faut pour que la promesse soit une réalité dans nos vies.