Pour
prolonger la réflexion…
“Qu’est-ce qu’une vraie
rencontre ?”
En vue d’un futur projet pastoral pour notre communauté
du Sacré-Cœur
Quelles sont les conditions d’une vraie rencontre ? Quels en sont
les signes ?
Curiosité, vulnérabilité, stimulation, mutation… Une « vraie »
rencontre est celle dont on ressort changé. Autrement, à quoi pourrait-on dire qu’il y a
eu rencontre ? Si j’ai changé en te rencontrant, c’est que j’ai rencontré
l’altérité en toi, mais aussi en moi. Avant de te rencontrer, je ne savais pas
qu’existait en moi cette part de moi. Tu m’as appris qu’il n’était pas trop
tard en moi pour cette part de moi : voilà...
Préambule
En ce moment, nous avons tous faim de
belles rencontres, après en avoir été empêchés par la crise sanitaire. Les
jeunes notamment, avides de rencontres qui transforment et magnifient leurs
existences. Ces rencontres qui nous permettent d'être en résonance avec le
monde, de nous retrouver nous-mêmes…
Mais quelles sont les conditions
d’une vraie belle rencontre ? Pourquoi certaines nous laissent sur
notre faim ? Et pourquoi d'autres, même brèves, nous marquent à vie ?
Comment se fait-il que nous ayons toujours tendance à fréquenter toujours les
mêmes personnes dans les mêmes cercles de connaissances ? Au fait, les
rencontrons-nous vraiment ?
Ces questions, nous nous les sommes
posées au niveau de notre vie d’Eglise, en communauté, en unité pastorale.
Elles nous interpellent sur notre capacité à nous ouvrir véritablement à
l’autre, les autres – qu’ils soient chrétiens ou non. C’est un enjeu
fondamental pour la mission, et même la survie de nos communautés… Et la raison
du thème de la messe de ce 5ème dimanche.
Pour nous éclairer, nous avons
recueilli ces réflexions de l’écrivain-philosophe Charles Pépin :
Charles Pépin : "La rencontre est une promesse", Ed.
Allary, 2020
-
-Pourquoi
vous-êtes vous intéressé au thème de la rencontre ?
Charles Pépin : J’ai toujours été surpris par notre
utilisation de la formule « Je suis très heureux de vous avoir
rencontré. » Je ne doute pas qu’elle soit plutôt sincère, mais en général,
nous oublions assez rapidement la personne quelque temps après. Cela m’a poussé
à réfléchir sur le concept de rencontre.
L’idée
de la rencontre se retrouve partout : réseaux sociaux, ateliers pour
"networker" en milieu professionnel, et même applications pour
trouver le grand amour…! Mais toutes ces occasions d’entrer en contact avec
l’autre ouvrent-elles la possibilité à une « vraie » rencontre, celle qui
bouscule notre vision du monde et parfois même notre conception de la vie ?
C’est loin d’être le cas !
Au fond, qu’est-ce qu’une
vraie rencontre ? Cette question qui peut paraître anodine est en réalité
très fertile. Elle interroge, par exemple, de façon assez profonde nos
crispations identitaires avec l’idée que, la meilleure façon de s’ouvrir à
d’autres dimensions de la vie, c’est de vraiment rencontrer les autres. Finalement,
on ne peut pas savoir qui l’on est si on ne rencontre pas autre chose que soi.
Notre identité peut, certes, sembler être un refuge en ces temps un peu
troublés, mais peu de gens savent véritablement qui ils sont, car ils n’ont
jamais vraiment rencontré personne.
« Une vraie rencontre est
celle qui agrandit notre regard sur le monde »
L’autre, dans la vraie Rencontre, n’est pas ce miroir où
s’admirer, mais bien une possibilité intense, de vivre à travers un autre
univers, d’élargir le sien, en toute humilité. … Il y a des risques à prendre,
des certitudes à remettre en perspective dans ces rencontres : mais elles
nous mettent en mouvement, nous font sortir de cette zone de confort
tapissée de nos certitudes. Nous sommes des êtres grégaires, oui, mais pas
seulement. On peut passer sa vie entouré, mais sans jamais rencontrer personne.
Il n’est pas si simple de sentir qu’on « reconnait » l’autre, dans sa plus
brute et pure expression.
- Qu’est-ce qu’une « vraie » rencontre selon vous ?
Charles Pépin : Probablement, une rencontre qui me
change. Une rencontre après laquelle je ne suis plus le ou la même, qui me
fait douter de mes certitudes, qui, quelque part, m’aide à voir la vie
autrement et m’aide à agrandir mon regard sur le monde. Il y a quelque chose
d’un peu mystérieux. C’est ouvrir les yeux sur un réel qui est différent de ce
que j’attendais, mais qui est plus intéressant que l’idée que je m’en faisais.
Peut-être que dans une vraie rencontre, ce qui se joue, c’est la reconnaissance
que le réel est plus beau que l’idéal ou le fantasme. Au cœur d’une vraie
rencontre, il y a une surprise. Quelque chose qui déjoue mes attentes et
qui, paradoxalement, me semble étonnant et familier à la fois.
- A l’heure du
numérique, alors que nous relevons trop rarement le nez de nos multiples
écrans, une vraie rencontre est-elle possible ?
Charles Pépin : C’est le soupçon qui ouvre ma prochaine
conférence. Nous pouvons douter, émettre l’idée que l’on ne rencontre jamais
vraiment l’autre, que nous ne faisons que de le fantasmer, surtout lorsque la
rencontre se passe « en ligne ». Nous avons des critères et des
attentes qui entravent la possibilité de la rencontre. Une fois ce
questionnement passé, il apparaît que la vraie rencontre existe, mais qu’elle
demande une disponibilité à la surprise et à la nouveauté. Elle nous
demande d’être capable d’improviser, de prendre un risque en sortant du cadre
de ce que nous avions prévu et anticipé. Souvent, ce qui empêche de
rencontrer les autres, c’est que nous souhaiterions qu’ils soient tels que nous
l’avions prévu. J’ai l’impression que la vraie rencontre c’est toujours la
rencontre de la personne que l’on n’attendait pas, qui ne correspond pas à ce
que l’on cherchait, mais qui finalement est celle que l’on a trouvée.
- Ce dont vous
parlez ici ne concerne-t-il que la rencontre amoureuse ?
Charles Pépin : J’ai plutôt une approche transversale, je
parle autant de la rencontre amicale que professionnelle, mais aussi de la
rencontre des œuvres d’art, du monde… Mais il est vrai que la question de la
rencontre amoureuse est sûrement celle qui fait couler le plus d’encre car
c’est certainement la plus intéressante à questionner philosophiquement :
est-ce que vraiment, lors d’une rencontre amoureuse, j’arrive à accueillir la
différence de l’autre ? Ne suis-je pas plutôt toujours en train de la
réduire pour l’accepter ou l’instrumentaliser ? Au fond, est-on capable de
faire l’expérience de la réalité de l’autre ?
Et à chaque
fois la preuve que cette rencontre est plus qu'un simple croisement, c'est qu'elle
nous permet de voir notre carapace identitaire fissurée. Il y a un trouble,
un contact avec ce qui n'est pas soi, qui est au fond la meilleure façon de
devenir soi (...) La vraie rencontre me change, elle me modifie.
-
Soyons
honnêtes, à partir d'un certain âge, on se dit "j'ai ma petite vie, j'ai
quelques amis, la famille... Je suis bien". Comment je vais aller faire de
nouvelles rencontres ? J'arrive pas à y aller, j'ai peut-être pas envie, pas
besoin. Comment on dépasse ça ?
Charles Pépin : On dépasse en comprenant que le
mouvement même d'une vie humaine est un mouvement qui fait qu'on sort de
son habitude, de sa certitude, pour aller à la rencontre de la nouveauté. Parce
qu'autrement on va s'étioler. On va avoir une vie diminuée, une vie rétrécie.
Comme la vie qu'on a un petit peu maintenant avec la crise du Covid. Ce qu'on
peut se dire aussi, c'est que c'est intéressant de découvrir l'altérité, que je
vais me nourrir, que je vais aussi être ébloui. Et quelque part, même si on n’a
pas l’occasion de rencontrer des personnes nouvelles, on peut aussi approfondir
la relation avec quelqu'un que je connais déjà, pour ne pas passer à côté de
quelqu'un avec qui on vit. Ça arrive souvent malheureusement (...)
-Est-ce que la rencontre ouvre à la responsabilité ?
Charles Pépin : Oui, la rencontre
inaugure souvent le début d'une perspective morale. Avec l'association Lire pour en sortir, je suis allé récemment faire de la philosophie à la prison de
la Santé, à Paris. Un homme m'a beaucoup touché. J'ai compris que j'aurais pu
être à sa place. Je ne sais pas ce qu'il a fait, il me ressemble. Dès que je
l'ai rencontré, je me suis senti redevable et j'ai pensé à la belle phrase de
Lévinas : "Répondre à quelqu'un, c'est déjà répondre de lui."
Nous avons échangé, cela se poursuit, d'une certaine manière. Ce n'est pas
possible tout le temps. Nous sommes souvent égoïstes, autocentrés, mais
certaines rencontres nous rappellent, concrètement, que nous sommes des êtres
moraux, c'est-à-dire responsables des autres. « Tu es responsable de ta
rose », disait le renard au Petit Prince de Saint-Exupéry.
-
Peut-on
éduquer à la rencontre ?
Oui, en faisant une place à l'improvisation.
Les facteurs propices à la rencontre sont ceux qui brisent l'habitude. Toute
rencontre exige de la disponibilité ; elle nous invite à sortir de l'obsession
de la prévisibilité et de la passion négative de l'anticipation. À l'école, à
la fac, en thérapie, partout on devrait nous apprendre à improviser… La
vraie vie, c'est l'improvisation. On n'est jamais aussi vivant que
lorsqu'on se rend disponible au surgissement de l'inconnu.
« élargissons
l’espace de notre tente ! »
C’est le titre et l’invitation de
la Lettre pastorale d’Avent de l’évêque Mgr Delville
« Déployer les toiles signifie : élargir
notre point de vue sur les autres et les accueillir plus largement »
Aller vers l’autre implique le développement d’une véritable pastorale de la visitation,
une pastorale de la rencontre, écrit l’évêque.
Isaïe 54 :2 « Elargis l’espace de ta tente; Qu’on
déploie les couvertures de ta demeure: Ne retiens pas ! Allonge tes cordages,
Et affermis tes pieux ! »
Dans nos prières nous demandons des fois
au Seigneur d’élargir l’espace de notre cœur, ce qui n’est pas mauvais en soi.
Cependant, élargir l’espace de notre tente, c’est-à-dire de notre vie
chrétienne, obéit à un certain nombre de principes.
Elargir l’espace de notre tente, peut
être défini comme étant le fait d’avoir de nouvelles dispositions. C’est aussi,
le fait d’opérer un ou des changements en ayant désormais les regards
fixés sur le Seigneur et sur ce qu’Il nous dit.
Élargir l’espace de notre tente, c’est
dans le sens d’élargir, agrandir, accroître, et étendre nos limites.
L’élargissement vient lorsque l’espace devient restreint pour contenir les
choses à venir (les promesses du Seigneur pour nous).