La Fête-Dieu, ou fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, est le fruit des querelles théologiques et des dévotions du Moyen Âge. À cette époque, les fidèles ne participent à la messe que de loin et communient rarement.
D’où, l’inspiration qu’a eue une religieuse de Liège, Julienne de Cornillon, de faire instaurer par le pape une fête particulière dédiée à l’eucharistie, la « Fête-Dieu ». Cette fête, étendue à toute la chrétienté, avait pour but d’aider le peuple à se représenter la « présence réelle » du Christ dans le pain et le vin consacrés. D’où, également, les vénérations de l’hostie et les processions solennelles comme celle qui vient de se dérouler jeudi soir dans les rues de Liège…
Après plusieurs siècles de ferveur, on doit constater que l’eucharistie est à nouveau en crise dans notre monde occidental. Combien de fois n’avons-nous pas entendu des personnes se présenter en disant : « Je suis croyant, mais je ne suis pas pratiquant ; ma famille et moi n’allons pas à la messe mais nous préférons nous recueillir dans une église en dehors des offices… » La baisse drastique de la fréquentation de la messe dominicale ces 20 dernières années est significative.
Nous nous empressons souvent de répondre en soulignant que « la messe n’est pas le tout de la foi, qu’il y a plusieurs façons de pratiquer sa religion, qu’il y a des tas de gens qui ne fréquentent pas la messe et qui sont très généreux et très engagés pour venir en aide aux autres, et qu’évidemment on n’a pas le droit de juger, les pratiquants ne sont pas meilleurs que les autres, etc. »
Bref, on minimise très gentiment et diplomatiquement l’importance de l’eucharistie en la réduisant à un choix personnel, à une dévotion individuelle tout à fait optionnelle… sans tenir compte de l’ordre du Seigneur : « Prenez… mangez-en tous…faites ceci en mémoire de moi. » Un impératif !
Chez les jeunes, on entend un autre son de cloche, plus direct : « Je ne vais pas à la messe car je m’y ennuie. » De nombreux adolescents arrêtent de venir à la messe aussitôt après la profession de foi. Nous n’avons sans doute pas pris à cœur cet ennui qui se développe au sein des assemblées et qui traverse particulièrement les jeunes. Quand on les questionne, ils avouent franchement qu’ils « ne savent pas ce qu’ils viennent y faire ».
Derrière ces remarques se cachent tout ensemble
1°, une conception désincarnée de Dieu qui n’est pas vraiment vu comme une personne,
2°, une incapacité de reconnaître le Christ qui nous invite à nous unir à lui,
3°, une difficulté aussi à faire corps avec les autres membres de l’assemblée.
Pour beaucoup de personnes, la religion reste en effet une affaire privée ; elles ne se reconnaissent pas dans la notion de Corps du Christ telle que l’apôtre Paul la définit « parce qu’il n’y a qu’un seul pain nous ne sommes qu’un seul corps ». Dans une société individualiste, ces propos tombent à plat et ne sont pas accueillis.
Nous avons besoin de faire communauté avec ceux qui se rassemblent à l’église et les autres ont besoin de notre présence et de notre prière. C’est une manière de « faire corps » et de montrer que nous sommes solidaires les uns des autres au-delà de nos différences, car c’est le Christ qui nous rassemble et nous unit.
Cette crise de l’eucharistie n’est pas nouvelle : nous venons d’entendre le discours du Pain de Vie, où Jésus s’est présenté comme le pain descendu du ciel ; ses paroles ont suscité de violentes réactions de la part de ses interlocuteurs quand il disait : « Je suis le pain vivant descendu du ciel, celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » Beaucoup de disciples l’abandonnèrent, note l’évangéliste Jean, ce discours était trop fort et incompréhensible pour eux.
Pourtant, un noyau de fidèles s’est engagé à la suite de Jésus. Ceux-ci avaient compris qu’il avait les paroles de la vie éternelle et qu’à travers ce pain nouveau, le Christ les invitait à le suivre dans sa mort et sa résurrection. Ils ont fait confiance. Nous aussi nous lui faisons confiance, même si nous ne pouvons pas tout comprendre.
Si nous réfléchissons un peu, nous découvrons que Jésus ne veut pas seulement se rendre présent dans l’hostie consacrée mais en chacun de nous. C’est nous-mêmes qu’il veut transformer en nous donnant le pain venu du ciel. Jésus vient à nous dans l’eucharistie pour que nous fassions comme lui la joie de son Père en vivant par lui, donnés à Dieu et à nos frères… C’est toute notre vie qui est invitée à faire corps avec le Christ, à être dès aujourd’hui transformée par lui ! Et ce, afin de devenir un ferment – un levain, dit Jésus, capable de transformer à notre tour ce monde où nous vivons, pour le rendre plus juste, plus aimant et davantage conforme au plan de Dieu… pour devenir nous-mêmes un bon pain pour la faim des autres.
Avons-nous envie d’être transformés quand nous venons à la messe ? C’est à chacun de nous de se poser la question.
Je disais au début que l’eucharistie est à nouveau en crise dans notre monde occidental : Dans notre monde occidental mais pas partout dans le monde. Au moment où de nombreux chrétiens de nos sociétés de consommation et de loisirs délaissent ce rendez-vous que le Christ a donné à son Eglise, les peuples les plus pauvres nous apprennent souvent à goûter ce repas de vie et d’amour.
Un ami missionnaire qui travaille au Pérou m’a raconté qu’il avait entrepris de gravir un col avec des amis pour se rendre chez lui. Arrivés à mi-pente de la montagne, ils avaient décidés de s’arrêter dans une petite chapelle pour célébrer l’eucharistie. Quand ils y sont arrivés, une foule de gens les attendaient. Mon ami prêtre leur demande : « Que voulez-vous ? » Ils répondent : « Nous avons faim de messe ».
Nous qui avons la chance d’avoir une eucharistie très facilement, ne nous privons pas de ce don de Dieu. Laissons-nous envahir et transformer par lui. La messe est une affaire d’amour. Dieu ne laisse pas l’homme sur sa faim si l’homme a faim de Dieu.
Si nous l'oublions, nous mourrons de façon certaine d'inanition spirituelle... bien avant que le réchauffement climatique ou les radiations d'une guerre nucléaire ne fassent disparaître l'espèce humaine !
BP