UN
FESTIN POUR TOUS LES PEUPLES
Vous avez lu sans doute les albums d’Astérix et Obélix : Vous savez comment se termine chacune des aventures de ces irréductibles gaulois ? Par un festin !
Un festin : c’est l’image que le prophète Isaïe a choisie
pour décrire l’aboutissement du projet de Dieu. Ce projet, nous le savons bien,
c’est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s’asseoir à la même
table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c’est bien une image de
paix.
« Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour tous les peuples, sur
sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de
viandes succulentes et de vins décantés ». (Is 25, 6)
Bien
sûr, cette évocation de nourriture et de boissons est d’ordre poétique,
symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera
concrètement. Il veut nous dire : « finies les guerres, les
souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples
seront à la fête ».
Quand
on voit ce qui se passe dans le monde actuellement, en particulier en Israël,
en Ukraine, en Arménie, à l’est du Congo… on se dit qu’on en est encore
loin ! Que de souffrances ! Que de violences et d’atrocités !
Et cela, entre des peuples qui sont des peuples frères ou au moins cousins,
comme les Israéliens et les Palestiniens, tous d’origine sémite, ou les
Ukrainiens et les Russes, tous d’origine slave.
On
se dit en voyant ce désastre, ces maisons explosées, ces corps mutilés, ces
femmes et ces enfants en pleurs, on se dit que c’est la haine qui gagne,
qui a encore une fois gagné. Pas de festin, mais la faim et la
soif pour les habitants de Gaza sous les bombardements, sans eau ni nourriture
ni électricité ni médicaments pour soigner les blessés et carburant pour faire
tourner les hôpitaux…
Pas de fête, mais les pleurs et les cris de désespoir pour les proches des habitants des localités proches de la bande de Gaza massacrés par les fanatiques sans pitié du Hamas, et qui sont sans nouvelle d’un parent, d’un enfant, d’une épouse enlevé.e et pris.e en otage…
Isaïe semble avoir été beaucoup, beaucoup trop
optimiste… Le rêve de la Paix s’est éloigné ; la barbarie et l’engrenage
de la violence ne cesse d’augmenter et de renforcer le mur de la haine. Ce mur
que pourtant le Christ Jésus avait détruit par sa mort sur la croix (Eph. 2,
14 :
C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et
le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a
détruit ce qui les séparait, le mur de la haine. )
Isaïe écrit aussi que « le Seigneur Dieu essuiera
les larmes de tous les visages » (25,8). Hé bien, il aura du travail !
Chers
frères et sœurs, on ne peut qu’être bouleversés à la vue de ces images et de
ces drames, alors que nous nous demandons sans cesse quand tout cela
finira-t-il ? Par lassitude, par épuisement réciproque, quand la
vengeance est assouvie – l’est-elle jamais? – on finit par conclure une paix
(armée) sur de nouvelles positions toujours désavantageuse pour les vaincus,
mais le feu couve toujours, et il suffit d’un coup de vent (de colère, rancœur)
pour faire à nouveau flamber toute une région. Ce qui ne manque pas d’arriver,
tôt ou tard…
Alors, frères et sœurs, ne serions-nous pas à nouveau découragés, et
tentés de regarder ailleurs ? Les chrétiens ont-ils encore quelque chose à
dire, quelque chose à faire, pour protéger la paix, la faire avancer ou revenir ?
« I have a dream » (j’ai fait un rêve, Luther King), « We shall live in peace, some day ; oh deep in my heart, I do believe, we shall live in peace, some day » (Nous allons vivre en paix un jour, au fond de mon cœur, je crois que nous allons vivre en paix, un jour.)
: Ce chant des pacifistes des années 60-70, est-il complètement périmé,
irréaliste ? Isaïe n’est-il qu’un marchand de vent ? Le rêve d’un
monde en paix est-il avorté ?
L’Organisation des Nations Unies, créée pour prévenir et empêcher les
conflits, apparaît bien impuissante. Et Dieu lui-même, et les Eglises, dont on
n’écoute plus la voix (quand elle n’est pas inaudible) …
Même l’Evangile semble rempli de violence : Qu’est-ce que cette histoire où Jésus parle d’un roi qui s’est mis en colère parce que les invités à la noce de son fils ne viennent pas et qui fait incendier la ville et périr les meurtriers de ses serviteurs – œil pour œil ?
Pas évident, même si on fait la part du style parabolique, qui
n’est pas une leçon de morale, mais un conte imaginaire qui vise à faire
comprendre à un certain public une vérité sur eux-mêmes, à savoir ici la clique
des grands-prêtres et des pharisiens qui n’ont pas voulu voir en Jésus l’envoyé
de Dieu, le Messie promis – au contraire des petites gens, le petit peuple des
pauvres de Dieu.
« A la croisée des chemins », « tous ceux que vous
trouverez » : ce texte a été utilisé par les premiers chrétiens pour justifier
que l’appel de Dieu (l’élection) et l’accès à son Royaume n’étaient plus
réservés désormais au seul peuple Juif et à ses dirigeants, mais ouvert à tous
et à tous les peuples, « les mauvais comme les bons ».
De la même façon, je remarque
dans la prophétie d’Isaïe, que les promesses du salut ne sont pas
réservées au seul peuple d’Israël : le festin préparé sur la montagne est
pour tous les peuples : « Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour
tous les peuples sur sa montagne, un festin... Il fera disparaître le voile de
deuil qui enveloppait tous les peuples. »
Cette prise de
conscience de l’universalisme du projet de Dieu a été tardive en Israël,
mais ici c’est très clair. Reste que beaucoup n’ont pas voulu le voir. C’est
le réflexe identitaire, qui a conduit des peuples ayant les mêmes
racines religieuses, le même père de tous les croyants Abraham, les mêmes livres
saints au départ, à se replier chacun sur lui-même en annexant le Dieu unique
et la promesse à leur seul bénéfice.
Les
promesses de Dieu ne sont-elles pas pour tous ? Et la terre ?
Les
guerres fleurissent sur le terreau fécond de l’injustice et de l’idéologie
identitaire. Dans le cas d’Israël et de la Palestine, il faut remonter loin
dans l’histoire, encore plus loin qu’à la création de l’Etat d’Israël et de la
partition de la terre de Palestine en 1948 : il faut remonter à la Bible
et à la promesse faite par Dieu à Abraham et à ses descendants, puis à Moïse,
de leur donner la terre de Canaan en chassant les peuples qui y étaient déjà
installés (Gen 15, 18-21 ; Deut 1, 7-8).
Les
fondamentalistes juifs associés au gouvernement actuel d’extrême-droite de
Netanyahou, s’appuient sur ces versets bibliques pour dénier au peuple
palestinien tout droit à l’existence, refuser un Etat palestinien autonome et
revendiquer la totalité du territoire compris entre le Jourdain et la
Méditerranée, le plateau du Golan et le mont Sinaï.
Les vicissitudes de l’Histoire depuis deux millénaires au
moins ont fait qu’Israël n’a jamais pu se sentir vraiment en sécurité :
pogroms, déportations, la shoah, puis les guerres arabo-israéliennes après la
création de l’Etat d’Israël ont induit dans la mentalité des Juifs un syndrome
particulier de « peuple victime » continuellement sur la défensive,
une identité qui s’est construite dans l’adversité et le malheur. L’idéologie
sioniste est née sur ces sentiments.
Hélas,
comme cela s’est passé en d’autres époques et d’autres lieux, il arrive alors
que les victimes deviennent à leur tour des bourreaux, faisant subir à d’autres
ce qu’eux-mêmes ont subi… La loi du Talion « œil pour œil, dent
pour dent » consacre ce principe (Ex 21, 23-25 ; Deut 19, 21). A l’origine
destinée à limiter la violence en empêchant une escalade, elle n’a souvent fait
que relancer une vendetta et nourrir la haine.
Au
contraire, certains passages de la Torah appellent à une morale de dépassement
de la haine quand la réconciliation est possible, mais elle ne s’applique
qu’aux membres du même peuple juif : « Tu ne te vengeras pas, ni ne garderas
rancune aux enfants de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Je suis l’Éternel. » (Lév 19, 18)
À
cette loi de Talion, Jésus oppose une vision radicalement opposée sensée
désarmer la haine : « Vous avez appris qu’il a été dit : « œil
pour œil et dent pour dent ». Et moi, je vous dis de ne pas résister au
méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui
aussi l’autre » (Mt 5, 38) – attitude qu’il a lui-même pratiquée jusque sur la croix.
Abandonner
la haine pour faire place au pardon est un travail long et difficile vu les
blessures très profondes infligées et reçues de part et d’autre ; il
prendra encore bien des générations. Dans ces conflits cependant, même les plus
épouvantables, il y a toujours des hommes et des femmes qui veulent croire à
la paix et qui essaient par tous les moyens de faire passer une autre voix,
celle de la réconciliation, de la miséricorde, du refus de la violence : ce sont eux que nous devons soutenir, en
joignant nos voix à la leur.
Ces
hommes et ces femmes de paix, nous en connaissons, ils ne sont pas tous
chrétiens, mais ils ont changé la destination du monde par leur force
intérieure de conviction : Gandhi en Inde coloniale, Martin Luther King
aux USA, Nelson Mandela et Desmond Tutu en Afrique du Sud, Lech Walesa et
Solidarnosc en Pologne, Aung San Suu Kyi en Birmanie, le Dr Mukwenge au Congo
RDC… et bien d’autres encore, moins connus, qui ont fait avancer la cause de la
paix.
Voici
sa prière, lumineuse :
Il faut
mener la guerre la plus dure contre soi-même.
Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des
années, elle a été terrible.
Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car
l’amour chasse la peur.
Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en
disqualifiant les autres.
Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.
J’accueille et je partage.
Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.
Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs,
mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif.
Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.
C’est pourquoi je n’ai plus
peur.
Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.
Si l’on se désarme, si l’on se
dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles,
alors,
Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible.
Alors,
si nous arrivons à vivre cela – et c’est contagieux ! – ce qu’Isaïe a entrevu
viendra, c’est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les
forces de mort seront détruites, la haine, l’injustice, la guerre. « JE L’AI
PROMIS, JE LE FERAI, DIT LE SEIGNEUR ! » Amen !