HOMELIE 28è DIMANCHE ORD - GUERRE ET PAIX

 

UN FESTIN POUR TOUS LES PEUPLES


Vous avez lu sans doute les albums d’Astérix et Obélix : Vous savez comment se termine chacune des aventures de ces irréductibles gaulois ? Par un festin !

Un festin : c’est l’image que le prophète Isaïe a choisie pour décrire l’aboutissement du projet de Dieu. Ce projet, nous le savons bien, c’est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s’asseoir à la même table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c’est bien une image de paix.

« Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés ». (Is 25, 6)

Bien sûr, cette évocation de nourriture et de boissons est d’ordre poétique, symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera concrètement. Il veut nous dire : « finies les guerres, les souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples seront à la fête ».


Quand on voit ce qui se passe dans le monde actuellement, en particulier en Israël, en Ukraine, en Arménie, à l’est du Congo… on se dit qu’on en est encore loin ! Que de souffrances ! Que de violences et d’atrocités ! Et cela, entre des peuples qui sont des peuples frères ou au moins cousins, comme les Israéliens et les Palestiniens, tous d’origine sémite, ou les Ukrainiens et les Russes, tous d’origine slave.

On se dit en voyant ce désastre, ces maisons explosées, ces corps mutilés, ces femmes et ces enfants en pleurs, on se dit que c’est la haine qui gagne, qui a encore une fois gagné. Pas de festin, mais la faim et la soif pour les habitants de Gaza sous les bombardements, sans eau ni nourriture ni électricité ni médicaments pour soigner les blessés et carburant pour faire tourner les hôpitaux…

Pas de fête, mais les pleurs et les cris de désespoir pour les proches des habitants des localités proches de la bande de Gaza massacrés par les fanatiques sans pitié du Hamas, et qui sont sans nouvelle d’un parent, d’un enfant, d’une épouse enlevé.e et pris.e en otage…


Isaïe semble avoir été beaucoup, beaucoup trop optimiste… Le rêve de la Paix s’est éloigné ; la barbarie et l’engrenage de la violence ne cesse d’augmenter et de renforcer le mur de la haine. Ce mur que pourtant le Christ Jésus avait détruit par sa mort sur la croix (Eph. 2, 14 : C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine. )

Isaïe écrit aussi que « le Seigneur Dieu essuiera les larmes de tous les visages » (25,8). Hé bien, il aura du travail !

Chers frères et sœurs, on ne peut qu’être bouleversés à la vue de ces images et de ces drames, alors que nous nous demandons sans cesse quand tout cela finira-t-il ? Par lassitude, par épuisement réciproque, quand la vengeance est assouvie – l’est-elle jamais? – on finit par conclure une paix (armée) sur de nouvelles positions toujours désavantageuse pour les vaincus, mais le feu couve toujours, et il suffit d’un coup de vent (de colère, rancœur) pour faire à nouveau flamber toute une région. Ce qui ne manque pas d’arriver, tôt ou tard…

 

Alors, frères et sœurs, ne serions-nous pas à nouveau découragés, et tentés de regarder ailleurs ? Les chrétiens ont-ils encore quelque chose à dire, quelque chose à faire, pour protéger la paix, la faire avancer ou revenir ?



« I have a dream » (j’ai fait un rêve, Luther King), « We shall live in peace, some day ; oh deep in my heart, I do believe, we shall live in peace, some day » (Nous allons vivre en paix un jour, au fond de mon cœur, je crois que nous allons vivre en paix, un jour.)

: Ce chant des pacifistes des années 60-70, est-il complètement périmé, irréaliste ? Isaïe n’est-il qu’un marchand de vent ? Le rêve d’un monde en paix est-il avorté ?

L’Organisation des Nations Unies, créée pour prévenir et empêcher les conflits, apparaît bien impuissante. Et Dieu lui-même, et les Eglises, dont on n’écoute plus la voix (quand elle n’est pas inaudible) … 

 

Même l’Evangile semble rempli de violence : Qu’est-ce que cette histoire où Jésus parle d’un roi qui s’est mis en colère parce que les invités à la noce de son fils ne viennent pas et qui fait incendier la ville et périr les meurtriers de ses serviteurs – œil pour œil ?


Pas évident, même si on fait la part du style parabolique, qui n’est pas une leçon de morale, mais un conte imaginaire qui vise à faire comprendre à un certain public une vérité sur eux-mêmes, à savoir ici la clique des grands-prêtres et des pharisiens qui n’ont pas voulu voir en Jésus l’envoyé de Dieu, le Messie promis – au contraire des petites gens, le petit peuple des pauvres de Dieu.

« A la croisée des chemins », « tous ceux que vous trouverez » : ce texte a été utilisé par les premiers chrétiens pour justifier que l’appel de Dieu (l’élection) et l’accès à son Royaume n’étaient plus réservés désormais au seul peuple Juif et à ses dirigeants, mais ouvert à tous et à tous les peuples, « les mauvais comme les bons ».


 


De la même façon, je remarque dans la prophétie d’Isaïe, que les promesses du salut ne sont pas réservées au seul peuple d’Israël : le festin préparé sur la montagne est pour tous les peuples : « Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin... Il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples. »

 

Cette prise de conscience de l’universalisme du projet de Dieu a été tardive en Israël, mais ici c’est très clair. Reste que beaucoup n’ont pas voulu le voir. C’est le réflexe identitaire, qui a conduit des peuples ayant les mêmes racines religieuses, le même père de tous les croyants Abraham, les mêmes livres saints au départ, à se replier chacun sur lui-même en annexant le Dieu unique et la promesse à leur seul bénéfice.

 



Le drame des religions, c’est qu’on s’est servi d’elles pour alimenter des idéologies meurtrières. Judaïsme, Islam, christianisme : N’aurions-nous pas dû être tous frères ?


 

Les promesses de Dieu ne sont-elles pas pour tous ? Et la terre ?

 

Les guerres fleurissent sur le terreau fécond de l’injustice et de l’idéologie identitaire. Dans le cas d’Israël et de la Palestine, il faut remonter loin dans l’histoire, encore plus loin qu’à la création de l’Etat d’Israël et de la partition de la terre de Palestine en 1948 : il faut remonter à la Bible et à la promesse faite par Dieu à Abraham et à ses descendants, puis à Moïse, de leur donner la terre de Canaan en chassant les peuples qui y étaient déjà installés (Gen 15, 18-21 ; Deut 1, 7-8).

Les fondamentalistes juifs associés au gouvernement actuel d’extrême-droite de Netanyahou, s’appuient sur ces versets bibliques pour dénier au peuple palestinien tout droit à l’existence, refuser un Etat palestinien autonome et revendiquer la totalité du territoire compris entre le Jourdain et la Méditerranée, le plateau du Golan et le mont Sinaï.

Les vicissitudes de l’Histoire depuis deux millénaires au moins ont fait qu’Israël n’a jamais pu se sentir vraiment en sécurité : pogroms, déportations, la shoah, puis les guerres arabo-israéliennes après la création de l’Etat d’Israël ont induit dans la mentalité des Juifs un syndrome particulier de « peuple victime » continuellement sur la défensive, une identité qui s’est construite dans l’adversité et le malheur. L’idéologie sioniste est née sur ces sentiments.

Hélas, comme cela s’est passé en d’autres époques et d’autres lieux, il arrive alors que les victimes deviennent à leur tour des bourreaux, faisant subir à d’autres ce qu’eux-mêmes ont subi… La loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent » consacre ce principe (Ex 21, 23-25 ; Deut 19, 21). A l’origine destinée à limiter la violence en empêchant une escalade, elle n’a souvent fait que relancer une vendetta et nourrir la haine.

Au contraire, certains passages de la Torah appellent à une morale de dépassement de la haine quand la réconciliation est possible, mais elle ne s’applique qu’aux membres du même peuple juif : « Tu ne te vengeras pas, ni ne garderas rancune aux enfants de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel. » (Lév 19, 18)

À cette loi de Talion, Jésus oppose une vision radicalement opposée sensée désarmer la haine : « Vous avez appris qu’il a été dit : « œil pour œil et dent pour dent ». Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt 5, 38) – attitude qu’il a lui-même pratiquée jusque sur la croix.



Abandonner la haine pour faire place au pardon est un travail long et difficile vu les blessures très profondes infligées et reçues de part et d’autre ; il prendra encore bien des générations. Dans ces conflits cependant, même les plus épouvantables, il y a toujours des hommes et des femmes qui veulent croire à la paix et qui essaient par tous les moyens de faire passer une autre voix, celle de la réconciliation, de la miséricorde, du refus de la violence :  ce sont eux que nous devons soutenir, en joignant nos voix à la leur.

Ces hommes et ces femmes de paix, nous en connaissons, ils ne sont pas tous chrétiens, mais ils ont changé la destination du monde par leur force intérieure de conviction : Gandhi en Inde coloniale, Martin Luther King aux USA, Nelson Mandela et Desmond Tutu en Afrique du Sud, Lech Walesa et Solidarnosc en Pologne, Aung San Suu Kyi en Birmanie, le Dr Mukwenge au Congo RDC… et bien d’autres encore, moins connus, qui ont fait avancer la cause de la paix.

La paix, c’est un enjeu et un combat qui concerne le monde entier et chacun de nous. Comme disait le patriarche orthodoxe de Constantinople Athénagoras, grand homme de foi et de prière, décédé en 1972 : Il faut se désarmer soi-même, sortir de soi pour accueillir l’autre comme un frère. C’est le travail de toute une vie.



 

Voici sa prière, lumineuse :

 

Il faut mener la guerre la plus dure contre soi-même.
Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.
Mais 
maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.
Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres.
Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.
J’accueille et je partage.
Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.
Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs,
mais bons, j’accepte sans regrets.
J’ai renoncé au comparatif.
Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.

C’est pourquoi je n’ai plus peur.
Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.

Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors,
Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible.

 

Alors, si nous arrivons à vivre cela – et c’est contagieux ! – ce qu’Isaïe a entrevu viendra, c’est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les forces de mort seront détruites, la haine, l’injustice, la guerre. « JE L’AI PROMIS, JE LE FERAI, DIT LE SEIGNEUR ! » Amen !