Le phénomène n'est propre ni à notre unité pastorale, ni à la religion catholique (cf. un précédent billet sur la journée de l'unité des chrétiens): l'assistance dans nos églises se réduit de plus en plus, pour devenir, çà et là, confidentielle. Certaines de nos églises se dégradent par ailleurs petit à petit. La question se pose donc: une «rationalisation» du nombre d'églises ne s'imposerait-elle pas? «Lorsque nous ouvrons un "brain storming" avec un bourgmestre à ce propos, il est souvent question de démolir l'une ou l'autre église» explique Éric De Beukelaer, le vicaire général du diocèse de Liège. «Mais quand nous faisons le tour des églises de la commune, en demandant laquelle pourrait disparaître, souvent, aucune n'est désignée. Car il sait que telle ou telle population est attachée à "son" église, même si elle est peu fréquentée».
Les évêques de Belgique ont pourtant réfléchi à la question. Et, à Liège, un document intitulé «Objectif 2020-Directoire diocésain pour la gestion du temporel des cultes», édité il y a cinq ou six ans, reprend largement leurs conclusions. La couverture du fascicule montre un nouveau clocher hissé par une énorme grue au-dessus d'une église.
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Une église (ici, saint Fiacre, à Dison) est «aussi un repère architectural»
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«Leur position est qu'il n'y a pas de tabou, mais qu'une église est plus qu'un lieu où on célèbre la messe. C'est d'abord un lieu chargé d'histoire et de mémoire, même pour des gens qui ne sont pas catholiques», explique Éric De Beukelaer.
«C'est aussi un repère architectural ou autre. Il convient donc de bien réfléchir avant de décider. Le texte est aussi un plaidoyer pour que les églises restent ouvertes, car une église fermée est une église qui s'évanouit. Les églises n'appartiennent pas aux pratiquants: elles appartiennent à la communauté. D'ailleurs, quand on est à l'étranger, on visite des églises, et si elles sont fermées, on est déçu! Ce n'est pas simple, je le sais, mais on peut pour pas cher acheter des petites caméras de surveillance, ou des lampes avec détecteurs de présence qui lancent en même temps de la musique. Et dans certains endroits, il existe un tour de rôle entre personnes souvent retraitées du quartier, qui, chacun un jour par semaine, ont la clé de l'église et y passent trois ou quatre fois la journée».
«Définir une ou des églises "centrales"»
Mais au-delà de ces principes généraux? «On essaie de donner du relief au paysage des églises, de leur donner à chacune une couleur».
Qu'est-ce que cela signifie?
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En plus d'une église «centrale», une église plus vaste (ici, sainte Thérèse) peut devenir «lieu de rassemblement»
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«D'abord, à travers les curés et leurs équipes, puis avec les fabriciens, et quand on est d'accord, avec les communes, on s'efforce de donner à chaque église une "coloration". Dans une unité pastorale, ou au niveau d'une commune, on voit quelle est ou quelles sont les églises "centrales", principalement vouées à la célébration du culte. Par commune, où on trouve parfois plusieurs unités pastorales, il y en aura ainsi une ou deux. On invite alors les curés et leurs équipes à célébrer l'eucharistie deux fois par week-end, dans cette ou dans ces églises "centrales", plutôt que de déplacer à chaque fois la messe, d'une semaine à l'autre, dans une église ou dans une autre. Les habitués s'y retrouvent, mais pour les gens un peu moins réguliers, ces déplacements représentent un véritable casse-tête».
Parfois, à côté de cette ou de ces églises «centrales», on peut avoir une église «plus grande, qui peut servir de lieu de rassemblement pour toute l'unité pastorale».
Et Éric de Beukelaer de citer en exemple l'unité pastorale de Chaudfontaine et Trooz «où nous avons déterminé deux églises "centrales", l'une à Chaudfontaine et l'autre à Trooz. Mais il y a aussi une très grande église à Vaux-sous-Chèvremont (Ndlr: point d'arrivée, jadis, du pèlerinage annuel des sportifs liégeois), qui elle, sert de lieu de rassemblement pour toute l'unité pastorale, pour certaines messes qui rassemblent énormément de monde, etc.».
Des églises «à haute densité touristique»?
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Des églises (ici, saint Laurent à Andrimont) ont un «haut potentiel touristique» |
D'autres églises peuvent être définies comme «à haute densité touristique». Comme l'église... de Lantin, citée par le vicaire général.
«Lantin est beaucoup plus connu par le centre pénitentiaire qui y est installé. Mais la plupart des gens ignorent qu'il y a là aussi une église, qui est un petit bijou d'art baroque. On la qualifierait de merveille, si on la découvrait en Bavière. Il y a, çà et là, des églises remarquables, vers lesquelles on pourrait diriger des groupes de marcheurs, de cyclotouristes, etc. Les communes sont invitées à orienter vers leurs églises mémorables, qu'elles soient anciennes ou plus récentes. Il y a sûrement une réflexion à mener sur ce thème».
Des églises «dédicacées»...
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Des églises (ici, saint Jean-Baptiste à Mont) peuvent recevoir une «destination particulière»
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Certaines églises, poursuit le vicaire général, peuvent aussi être
«réservées à des célébrations particulières: les unes pour les funérailles; les autres pour les messes pour les jeunes, d'autres encore pour les mariages. Je serais assez favorable, à Liège ou dans une ville comme Verviers, à réserver une église proche des grands cimetières à des funérailles. Voire à créer, à proximité, un lieu où les réceptions familiales peuvent organisées».
Plus insolite, l'idée d'une église... «pour urnes funéraires. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes se font incinérer. Si les cendres ne sont pas dispersées, on les rassemble dans des colombariums dans les cimetières. C'est joli, mais cela fait un peu... HLM. Or il existe d'autres possibilités, comme on en voit déjà en Allemagne ou en France: dans certaines églises, les bas-côtés sont aménagés pour recevoir des urnes funéraires. Et c'est là que se célèbrent plus particulièrement les messes à la mémoire des défunts».
...ou partagées?
La possibilité existe aussi, rappelle Éric De Beukelaer, «de partager des églises avec d'autres religions chrétiennes». Cet «usage conjoint» est possible. Avec une limite, que «les autres Églises chrétiennes fassent partie du Conseil œcuménique des Églises».
L'usage partagé peut aussi être «multifonctionnel, en ouvrant des églises peu fréquentées à des activités profanes compatibles».
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Des églises (ici, saint Roch) peuvent se voir affecter un «usage partagé»
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La question, là, est de savoir ce qui est «compatible» ou non:
«il y a tout ce qui est musical, tout ce qui est artistique. Mais on pourrait aussi imaginer des producteurs bios ou des artisans locaux qui viennent vendre leurs produits dans l'église. Voire des "repair cafés" ou un club de 3x20. On peut au besoin mettre le tabernacle à la sacristie pendant ces activités, si cela crée une gêne. Beaucoup de bourgmestres me disent qu'ils ont déjà des infrastructures pour ces activités. Fort bien, mais s'il en manque, pourquoi ne pas y penser?».
Un autre type d'usage «partagé» peut être envisagé pour des églises «dont on constate qu'elles sont trop grandes de manière permanente: il est possible alors d'en détacher une partie pour un autre usage».
À Louveigné, ainsi, le fond de l'église a été cédé aux mouvements de jeunesse, «et cela marche très bien, malgré les craintes exprimées au départ».
Le vicaire général cite aussi un projet... toujours en l'air, «à Jemeppe-sur-Meuse, où on aperçoit le ciel à travers le plafond de la très grande église, à laquelle les Jemeppiens sont fort attachés. À l'époque où Alain Mathot était toujours bourgmestre de Seraing, j'avais un accord verbal: il y avait des travaux à réaliser pour un million d'euros à l'église (ce serait deux... au moins aujourd'hui), et l'idée était d'y installer dans une nef et dans une sacristie, la bibliothèque communale, hébergée dans un château dont il voulait récupérer l'usage. Avec son successeur, nous n'avons pu creuser l'idée. On verra ce qu'il en est avec Mme Géradon, qui vient d'accéder au mayorat»...
La désaffectation, en bout de compte?
«Si aucun de ces projets ne se réalise, il reste la désaffectation, qui n'est pas un tabou, mais qui doit être la dernière solution», conclut Éric De Beukelaer. «Je suis assez "cash" à ce propos: durant des siècles, on a détruit et rebâti des églises. Si on ne voit vraiment pas à quel usage on peut affecter une église, autant la démolir, et construire quelque chose à la place. Mais en pareil cas, je demande toujours qu'on bâtisse une petite chapelle mémorielle, pour que la mémoire du lieu ne s'efface pas».
Détruire ou reconditionner, comme à Maastricht, où une église a été transformée en librairie. À Marche, une église est devenue un hôtel, sans plus de problèmes. «Par contre, à Namur, un magasin de vêtements installé dans une ancienne église a dû fermer. Comme à Binche, la discothèque qui y avait ouvert ses portes», conclut Éric De Beuckelaer. Comme pour confirmer que la désacralisation et la désaffectation ne doivent venir qu'en toute dernière hypothèse.
«Ne pas toucher aux grandes peurs de la population»
Éric De Beukelaer parle de l'absence de tabou. Pourtant un tabou semble bien réel: des églises ne sont pas désaffectées, par crainte, des autorités politiques ou religieuses, qu'elles ne soient transformées en mosquées.«Je pense que la plupart des musulmans bien insérés chez nous ne le souhaitent pas eux-mêmes», réagit-il. «Parce que cela touche aux grandes peurs de la population».
«Il y a tout de même des demandes, et si on y réfléchit de manière détachée, pourquoi pas, puisque cela resterait un lieu où on loue Dieu», poursuit le vicaire général. «Mais si on fait cela, il risque d'y avoir des "petits malins" de droite dure prêts à ressortir la fumeuse thérorie du "grand remplacement". Des sociologues de l'UCL ont étudié le problème il y a déjà une quinzaine d'années à Charleroi, et leur conclusion était que ce n'était pas une piste à envisager, non pas parce qu'elle n'était pas rationnelle, mais parce qu'elle n'était pas politiquement opportune».