Lutte contre la pauvreté : pourquoi on n’y arrive pas
Alors que la Journée mondiale du refus de la misère est célébrée ce mardi 17 octobre, le chômage baisse et pourtant la pauvreté semble s’aggraver d’année en année. Un paradoxe dont l’explication réside dans des causes structurelles profondes.
Mais pourquoi la pauvreté ne
finit-elle pas par baisser ? Alors que, selon l’expression fameuse d’Emmanuel
Macron, un « pognon de dingue » est dépensé pour aider les
plus modestes, alors que le chômage a atteint son niveau le plus faible en
quinze ans (7,2 %), et que le nombre d’allocataires du RSA a lui aussi baissé,
pourquoi la lutte contre la misère semble-t-elle caler ?
L’immigration, un impact mais
relatif
Certains font le lien avec
l’augmentation des flux migratoires, notamment dans les dernières années. Réalité
ou faux procès ? « Il y a une très grande paupérisation des étrangers, confirme
Noam Leandri, porte-parole du collectif Alerte. Dans son dernier
rapport annuel, le Secours catholique indique que, désormais, la moitié des
personnes accueillies sont étrangères, dont un tiers ont un titre de séjour, un
tiers sont en cours de renouvellement et un tiers en situation irrégulière. »
En toute logique, les personnes
sans titre de séjour, qui n’ont pas accès aux aides sociales, sont les plus
touchées par l’extrême pauvreté, la plus visible. « La grande majorité
des familles à la rue sont sans papiers, ajoute-t-il. Et, dans
les centres d’hébergement, il se dit que les personnes en situation irrégulière
forment un tiers des accueillis ; en Île-de-France, ce serait plus de la
moitié. »
Néanmoins, il faut relativiser
l’ampleur du phénomène. Si le ministre de l’intérieur parle de 600 000 à 700
000 personnes sans papiers, il faut comparer ce chiffre aux quelque 9 millions
de personnes en situation de pauvreté et aux 5 millions en extrême
pauvreté. « Pour être clair, reprend Louis Maurin, l’augmentation
du nombre de sans-papiers ne représente pas grand-chose dans l’augmentation de
la pauvreté en France. »
En revanche, l’immigration
globale a des effets plus importants. « Le taux de pauvreté de la
population immigrée est deux fois plus important que le taux global, donc,
mathématiquement, quand on accueille plus d’immigrés, leur part dans la
population pauvre augmente », explique Louis Maurin. Les immigrés
représentent aujourd’hui 21 % de la population pauvre.
L’inflation, 200 000 personnes
pauvres en plus
Bien sûr, l’inflation des deux
dernières années a considérablement accentué le problème. « Avec
l’économiste Pierre Madec de l’OFCE, raconte Noam Leandri, on a
calculé qu’elle pourrait faire basculer 200 000 personnes supplémentaires dans
la pauvreté d’ici à avril 2024. En effet, alors que la hausse des prix est
estimée à 5 % cette année, les minima sociaux n’ont été revalorisés que de 1,6
% en avril 2023. »
Et encore, c’est sans compter
sur le fait que la hausse des prix est encore plus forte sur certains produits,
alimentaires par exemple, qui représentent une part plus importante du budget
des ménages pauvres.
L’emploi en miettes, une cause
massive
La hausse des dépenses
contraintes contribue aussi à élargir les frontières de la pauvreté. «
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion
sociale a calculé le budget qu’il faut pour vivre décemment, c’est-à-dire payer
son logement, son énergie, sa nourriture, mettre de l’essence dans sa voiture…
En milieu rural, on estime qu’il faut 1 700 € par mois pour une personne, et,
en région parisienne, c’est 2 200 €, des seuils bien plus hauts que le seuil de
pauvreté, précise Axelle Brodiez-Dolino. On voit donc que se
dessinent des halos au-delà de la pauvreté au sens strict, qui expliquent que
beaucoup de personnes n’y arrivent plus et se retrouvent à avoir besoin des
aides autrefois destinées aux plus pauvres. »
Mais pour comprendre
l’augmentation de la pauvreté, il faut remonter à des causes plus anciennes,
qui produisent aujourd’hui des effets massifs. « Il y a une tendance de
fond expliquant que la baisse du chômage et celle de la pauvreté sont de moins
en moins liées : c’est que le travail ne paie plus, reprend Noam
Leandri. Depuis les années 1990 se sont développés tout un tas
d’emplois mal rémunérés, avec les CDD, le temps partiel, l’autoentrepreneuriat…
Cette ubérisation de la société contribue à ce qu’avoir un travail ne suffise
plus pour vivre, notamment chez les plus jeunes, particulièrement concernés par
ces formes d’emploi. »
De plus, ajoute Louis
Maurin, « le système scolaire français est très inégalitaire, ce qui
contribue à la reproduction de la pauvreté : quand on naît dans une famille
pauvre, on a moins de chance de réussir à l’école et, comme le chômage est très
lié au diplôme, on a plus de risque de rester pauvre. »
Les séparations familiales, un
impact majeur
Autre cause profonde : «
Depuis les années 1970, poursuit Louis Maurin, les séparations
de couples se sont multipliées. Or quand vous vous séparez, vous ne pouvez plus
diviser par deux vos dépenses. Ce qui a un impact important en termes de
pauvreté. Aujourd’hui le taux de pauvreté des familles monoparentales est de 18
%. » De plus, ajoute Axelle Brodiez-Dolino, « cela fait des
décennies que le poids du logement dans le budget augmente et là on atteint un
seuil qui rend difficile l’accès à un toit, de sorte que les gens s’éloignent
dans des zones où il est difficile d’accéder à l’emploi sans voiture. »
Cela signifie-t-il que l’argent
public dépensé l’est en pure perte ? Il est vrai qu’en France les dépenses
sociales représentent un tiers du PIB, plus que la moyenne européenne. Mais
l’essentiel de ces dépenses concerne les retraites et l’assurance-maladie, la lutte
contre la pauvreté au sens propre ne représentant que 2 % environ.
Or, estime Louis Maurin, «
l’impact du “pognon de dingue” est majeur puisque sans cet argent, le taux de
pauvreté ne serait pas de 14,6 % mais de 22 %. » Cependant,
ajoute-t-il, « depuis 2017, hormis pour les personnes handicapées et
âgées, on a peu revalorisé les minima sociaux. Les mesures dites
d’investissement social de la stratégie pauvreté d’Emmanuel Macron, comme le
dédoublement des classes, ne concernent que 8 % des territoires, donc elles ne
sont pas globales. »
Si lutter contre la pauvreté est
une question d’argent, « c’est aussi et surtout une question de choix
politique, poursuit Louis Maurin. La suppression de la taxe
d’habitation coûte 20 milliards d’euros chaque année. Porter le revenu minimum
à 900 €, soit l’équivalent du seuil d’extrême pauvreté, c’est entre 7 et 10
milliards d’euros. »
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Le taux de pauvreté, une
définition relative
Selon l’Insee, le taux de
pauvreté était de 14,6 % en 2020. Le seuil de pauvreté est fixé à 60 % du
niveau de vie médian de la population. Il correspond à un revenu disponible de
1 102 € par mois pour une personne vivant seule et de 2 314 € pour un couple
avec deux enfants âgés de moins de 14 ans.
D’après cette définition, la
pauvreté touche quelque 9,2 millions de personnes, sans compter les sans-abri
et l’outre-mer. Il existe aussi un taux à 50 % du niveau de vie médian (940 €
par mois), qui représente 7,6 % de la population.
Établi à partir des revenus de
l’année précédente, dont
la collecte a été compliquée
par les années Covid, le taux de pauvreté n’a pas été
mis à jour depuis 2020. Il devrait l’être prochainement.