11 NOVEMBRE - ARMISTICE

11 novembre 2023  - Commémoration de l'Armistice 


Conte : La représentation de la paix

Il était une fois un souverain qui offrit une généreuse récompense à l’artiste qui ferait la plus belle représentation de la paix. Plusieurs peintres proposèrent une œuvre. Le souverain regarda attentivement les différents tableaux. Mais il en garda seulement deux, parmi lesquels il devait faire un choix final après un examen minutieux.

La première peinture était un lac d’une tranquillité parfaite qui reflétait des montagnes majestueuses. Toute cette œuvre inspirait le calme. En regardant ce tableau, tout le monde était d’avis qu’il serait choisi par le souverain.

L’autre peinture représentait également un paysage montagneux. Mais dans ce tableau, les montagnes étaient rocheuses et abruptes. De plus, le ciel était chargé de nuages gris desquels émanaient de vifs éclairs. Finalement au milieu de la toile, il y avait une chute d’eau tumultueuse parsemée de rochers proéminents.


Le souverain examina particulièrement bien ce tableau tumultueux. Et il découvrit tout près de la chute un petit buisson qui avait poussé sur un rocher rugueux. Dans ce buisson, une maman oiseau avait bâti son nid. Tout près d’un remous d’eau bouillonnant, la maman oiseau était assise sur son nid apparemment en parfaite sérénité. Inspiré par la tranquillité de l’oiseau, le souverain choisit ce tableau. Et il se justifia en disant ceci : « Il est facile d’être en paix dans un endroit calme. Mais celui qui réussit à l’être au milieu du tumulte porte le calme en lui-même. Il devient ainsi une source de sérénité pour tous. »

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait aux disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.”

 Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”  Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : “Combien dois-tu à mon maître ?” Il répondit : “Cent barils d’huile.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.” Puis il demanda à un autre : “Et toi, combien dois-tu ?” Il répondit : “Cent sacs de blé.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu, écris 80.”

    Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. »


HOMELIE :

Chers amis concitoyens, frères et sœurs, 

Nous voici donc rassemblés en cette date du 11 novembre, jour de commémoration pour toutes les victimes des guerres, jour de commémoration qui a commencé à la fin de la première guerre mondiale - dont beaucoup espéraient qu’elle serait la dernière, mais nous savons bien qu'il n'en a malheureusement été rien. Et je pense que, aujourd'hui plus que jamais, ces commémorations ne sont pas que des « vieilles histoires un peu poussiéreuses pour anciens combattants » -excusez-moi, c’est ce qu’on entend parfois dire -, mais plus que jamais il s'agit de commémorer d'abord la chance que nous avons ici, dans ce pays, à vivre dans une paix relative mais paix tout de même ; mais également à nous dire que la paix est vraiment une œuvre pour laquelle nous devons tous nous engager. 

 Nous vivons une époque particulière ; quand on voit le conflit en Ukraine ou le conflit au Karabak qui oppose l'Arménie à l'Azerbaïdjan, eh bien on se dit : “mais on est vraiment retournés au 19e siècle, c’est des conflits de territoire, d’impérialisme” ; et puis quand on voit ce conflit qui est reparti entre Israël et la population palestinienne de Gaza prise en étau suite aux attentats terroristes du Hamas, on se dit “mais c'est vraiment la mère de toutes les batailles, comment va-t-on un jour s’en sortir ?” Avec évidemment cette espèce de bombe à fragmentation qui s’enclenche, c'est-à-dire que, suite à la guerre menée par l'armée israélienne, voilà à nouveau de par le monde une forme d'antisémitisme qui est en train de renaître, et ce n'est vraiment jamais bon non plus.

 Nous devons nous engager pour la paix ; et en ce 11 novembre, eh bien il s'agit non seulement de prier pour la paix et de se montrer solidaire, mais je pense aussi qu'il s'agit de s'en sentir responsable.  -Alors vous me direz : “ben qu'est-ce que je peux changer moi à ces histoires-là” ; peut-être pas grand-chose en soi, mais on voit bien dans l'histoire qu’il a des figures qui ont changé le cours de l'histoire. Je suis persuadé que si en ‘95, Itzhak Rabin, Premier ministre israélien, n'avait pas été assassiné, les accords d’Oslo qui signaient la paix entre juifs et palestiniens, et bien, seraient entrés en vigueur et depuis un quart de siècle il y aurait une paix plus réelle dans ce pays. Il n'en a été rien mais Itzhak Rabin, après avoir été un militaire, était vraiment un combattant de la paix. Peut-être avait-il lu la parabole du gérant qui s’était fait des amis avec l’argent de son patron… J’y reviendrai.

 Et bien, à notre tour disons-nous dans nos petits milieux, ceux que nous fréquentons : “sommes-nous des facteurs de guerre ou de paix ?” Dans nos familles, il y a des petites guerres ; dans les milieux professionnels, dans nos paroisses, et je ne parle même pas des milieux politiques ! - partout où nous fréquentons, nous savons qu’il y a des petites guerres. S'engager pour la paix, c'est être artisan de paix dès à partir de notre environnement immédiat, et plus il y aura un esprit de paix autour de nous, plus un esprit de paix aussi pourra s'imposer petit à petit dans ce monde -  ce que je nous souhaite à tous.

 Evidemment, les luttes sont légitimes et nécessaires quand elles sont pour la justice. Mais pas par n’importe quel moyen, et surtout en respectant les personnes qu’on a en face de soi et avec lesquelles on n’est pas d’accord. Voir dans l’autre, dans l’adversaire, d’abord la personne humaine, l'être humain fait de chair comme moi, et qui doit avoir les mêmes droits. C’est loin d’être appliqué, en raison surtout des blessures reçues et qui se sont infectées, envenimées, la rancœur qui rend le pardon difficile voire impossible. 

Comparer les souffrances de part et d’autre pour les mettre en balance ou en équivalence n’a aucun sens. Aucune vie n’a plus de valeur qu’une autre. Renvoyer dos à dos les peuples en conflits non plus. Bien sûr que le terrorisme doit être éradiqué. Il n’a aucune légitimité. Mais cela est vain si cela ne doit pas déboucher sur des solutions plus justes pour toutes les populations concernées.

Est-ce que la paix renaîtra - la vraie paix et pas seulement le silence des armes, lorsqu’au milieu des ruines et de la désolation les humains de tous les camps comprendront enfin qu’ils sont condamnés à vivre ensemble et à partager la terre et les ressources ? Combien de générations faudra-t-il pour que les haines s’éteignent et que des mains se tendent au-dessus des murs et des barbelés ?

Je n’en ai aucune idée. Seulement, j’ai envie de vous partager cette réflexion à partir de l’évangile un peu bizarre ou scandaleux que nous avons entendu : celui du “gérant malhonnête”. Jésus conclut cette parabole en ajoutant que “le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête” qui avait annulé frauduleusement une partie des dettes que les clients devaient à son patron pour se tirer d’un mauvais pas en se faisant des amis. 

Regardons de plus près le texte : Ce gérant a une première qualité, il écoute vraiment ce que son maître lui dit. Son maître l'a renvoyé, il s'interroge alors en vérité comme l'a fait le fils prodigue dans la parabole qui précède. Le seul avenir qui lui paraît réel est de dépendre de la générosité d'autrui. Et pour se faire il va utiliser l'argent même de son maître en remettant en partie les dettes des débiteurs. Pour des auditeurs habitués aux paroles de Jésus et dans la Bible, remettre des dettes, c'est l'attitude même du pardon

La parabole entre là dans une autre dimension, et nous sommes en face d'un maître bien différent de l'homme riche du début : il ne se soucie plus du tout d'avoir été lésé par son gérant ; au contraire il le félicite tout en reconnaissant sa malhonnêteté. Car pour lui, l’apaisement des peurs, des rancœurs et du passé négatif représenté par les dettes remises est plus important que la justice ou le droit compris dans un sens trop restrictif et égoïste. 

Pour revenir à Itzhak Rabin et aux accords d’Oslo, pour Rabin la paix entre israéliens et palestiniens valait bien des concessions difficiles - et d’aller au-delà des blessures : ce qu’on appelle le par-don. Ou pour reprendre la fameuse interjection de Henri IV de Navarre : “Paris vaut bien une messe !” (On ne dit pas s’il s’est vraiment converti ou si c’était seulement par pur calcul politique).

 Chers amis, et si cette parabole nous interpellait en profondeur à la racine même de nos comportements ? 

Tout nous est donné, la vie, ce monde, mais nous faisons toujours comme si nous en étions les propriétaires, alors que nous n’en sommes que les gérants. Au lieu d’être reconnaissants de ces dons, nous les exploitons à notre seul profit, refusant souvent aux autres d’y avoir part. Cela est la source de conflits qui parfois deviennent des guerres. 

Et si nous nous reconnaissions indignes comme le gérant de la parabole, indignes de la création qui nous a été confiée, et qui souffre de notre fait. Indigne de cette vie, la nôtre et celles de nos frères qui nous ont été confiés et que nous malmenons bien souvent ? Alors notre seule règle, celle de tous ceux qui se reconnaissent enfants du même Dieu ou au moins fils de la même terre, de la même humanité, ne devrait-elle pas être celle du pardon accueilli pour nous-même et redonné, partagé ?  

 Sans pardon, pas de guérison, pas de paix. Vivons-le déjà d’abord entre nous, là où nous sommes, avec ceux avec qui nous sommes. Amen.