8 MAI - FIN DE LA GUERRE : "NOUS SOMMES TOUS DES BERGERS"

 





NOUS SOMMES TOUS DES BERGERS | HOMÉLIE DU 8 MAI 2023

Aujourd’hui, 8 mai, ce n’est pas seulement notre petite Belgique, mais l’Europe et une partie du monde qui commémore le 8 mai 1945, la capitulation de l’Allemagne et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et qui a été suivie un peu plus tard, le 2 septembre 1945, par la capitulation du Japon après Hiroshima et Nagasaki.

Cet événement a été appelé le V-DAY, jour de la victoire. Mais cette ‘victoire’ qui avait coûté bien cher, laissait derrière elle un champ de ruines comme on n’en avait jamais connu, et des dizaines de millions de morts, dont une majorité de civils.

Guerre totale, ce conflit avait mobilisé plus de 100 millions de combattants de 61 nations, déployant les hostilités sur quelques 22 millions de km². Elle avait donné lieu dans les deux camps à une mobilisation massive des ressources non seulement matérielles, économiques et scientifiques, mais aussi morales et politiques, dans un engagement des sociétés tout entières. N’opposant pas seulement des nations, la Seconde Guerre mondiale fut aussi la plus grande guerre idéologique de l’Histoire. Contre le nazisme -système raciste et totalitaire s’appuyant sur un nationalisme impérialiste, d’une part les démocraties libérales et capitalistes, d’autre part, le communisme soviétique. Ces trois idéologies se sont livrées à un combat sans merci, qui s’est d’ailleurs poursuivi après les hostilités armées et se poursuit encore d’une certaine manière aujourd’hui, sous d’autres formes et dénominations.

Mais ceux qui ont donné leur vie en combattant pour notre pays, ne nous diraient-ils pas aujourd’hui : « Nous avons donné notre vie, non pour une idéologie, mais pour notre patrie et ses valeurs : la famille, la vie, la justice, l’égalité, et surtout, la liberté ? » C’est l’amour de leurs proches, de la terre qui les a vus naître, de leur milieu de vie qui les a fait s’engager jusqu’au bout pour les défendre. 

Les idéologies sont meurtrières, nous le savons maintenant ! Car en se radicalisant, elles excluent de fait tout dialogue et remise en question. Elles ne peuvent à terme que supprimer celui qui ne partage pas leur vision du monde et qui devient de facto un adversaire. Il arrive aussi que des religions, des courants philosophiques tout à fait respectables deviennent parfois des idéologies. Alors, tombant dans un intégrisme radical, elles ne sont plus des facteurs d’émancipation et d’élévation humaine, mais des instruments au service de quelques manipulateurs pour dominer, écraser, et même tuer.

Sans cesse nous devons rester vigilants. Aujourd’hui, bien des idéologies rampantes ont des relents de fascisme, de racisme, de xénophobie. Parfois même, elles s’affichent clairement, sans complexes. On sent qu’il y a des raidissements dans la société ; et les conditions économiques et sociales actuelles sont favorables à l’émergence et à la propagation des extrémismes. La peur de l’avenir également, qui fait se replier sur son groupe social et ses intérêts particuliers, non seulement les jeunes, mais une part plus importante de la population qui est tentée par les discours populistes véhiculant en arrière-fond des idéologies dangereuses.

Alors que l’on croyait que la guerre en Ukraine allait se terminer par un compromis après quelques mois, on a assisté à une mobilisation toujours plus grande des deux protagonistes et de leurs alliés, avec un recalcul et repositionnement des équilibres stratégiques mondiaux. À nouveau, le monde semble instable, et la paix lointaine.

Entre ceux qui disent qu’il faut viser la victoire contre la Russie pour couper les ailes à celui qui est présenté comme un prédateur, et ceux qui affirment que la paix est possible à condition de pousser les deux parties au compromis…, entre les va-t-en-guerres militaristes et les pacifistes idéalistes, on se sent coincés, spectateurs impuissants : cela crée un climat anxiogène.  Quelque part, nous avons peur d’une extension du conflit dont les conséquences ne seraient plus maîtrisables.

Ne peut-on pas arrêter les slogans, et sortir des simplismes binaires ?  La paix est toujours possible, à condition que l’on veuille instaurer les conditions de la paix ! Et accepter le multilatéralisme - je relève la définition : « multilatéralisme », attitude politique qui privilégie le règlement multilatéral des problèmes (opposé à l’unilatéralisme, que l’on définira comme la tendance à agir en fonction de sa volonté et de ses intérêts propres, sans égard pour la souveraineté d’autres Etats et à l’extérieur des cadres multinationaux.)

La terre est petite, toutes les nations sont interdépendantes, il faut agir de plus en plus de concert, que ce soit au niveau des défis du climat que pour les échanges économiques, à rendre plus justes et respectant l’humain et la nature. Dans ce cadre, les conflits armés entre nations sont suicidaires, non-sens !

-Je vois une autre condition à la paix, c’est dans l’évangile que je la trouve.

Il y est question d’un berger qui a pour qualificatif « bon », le bon Berger, en opposition au berger mercenaire. Un mercenaire, vous savez ce que ça veut dire : un militaire non conventionnel qui loue ses services dans les régions en guerre et qui se paye en nature sur la population, sans distinction. La milice Wagner est faite de mercenaires. Ils ne suivent que leurs propres règles. Un berger mercenaire, les brebis ne lui appartiennent pas : il ne s’en occupe que pour ses propres intérêts et se sert sur la bête.

Le Bon Berger, nous le savons, c’est le Christ. C’est celui qui mène son troupeau, le conduit sur les chemins, le protège, veille sur lui jour et nuit. Pour son troupeau, le Bon Berger est prêt à donner sa vie. Le Bon Berger, c’est le chef, et le chef est un serviteur. « Je ne suis pas venu », dit le Christ, « pour être servi, mais pour servir. »
 
En fait, si j’ai choisi cette parabole pour notre célébration de ce jour, c’est parce que je suis persuadé que nous, chrétiens, mais aussi toute personne humaine, qui qu’elle soit, nous sommes à notre tour appelés à devenir des bergers… J’insiste sur cette phrase. Notre vocation est de devenir des bergers. Les bergers de l’humanité. Nous sommes appelés à protéger, à secourir, à veiller sur toute humanité. Que notre troupeau soit grand ou petit ; qu’il soit une nation, une ville, une paroisse, une famille, et même une seule personne. Car on peut être le berger de son partenaire, mari ou femme, d’un enfant, d’un parent, d’un ami. Un berger-serviteur, sans violence mais résolu ; un berger sans orgueil, un berger qui accepté de donner de sa vie par amour pour son troupeau. 
Que notre engagement soit un engagement politique, qu’il soit celui de notre travail, celui de notre famille, l’engagement auprès des plus pauvres et des malades, l’engagement dans l’Église ou le simple et essentiel engagement de l’amitié : nous sommes tous les bergers de nos frères. Et, avec l’aide du Seigneur, d’aussi bon bergers que nous le pouvons, non pas des
mercenaires qui le font par profit ou intérêt personnel.

Nous vivons dans un monde dur où la règle du jeu est le chacun pour soi et où, pour réussir, on n’hésite pas à écraser l’autre. Les guerres et les divisions y ont leurs racines… Pour gagner la paix, il faut changer les consciences. Il faut inverser la norme : Si vous êtes ici ce matin, c’est bien sûr pour honorer ceux dont le sacrifice a permis notre liberté, mais aussi parce que vous croyez qu’au travers de notre rassemblement, nous manifestons ces valeurs communes sur lesquelles nous nous appuyons chaque jour en recherchant la paix. En les manifestant, nous nous engageons à les défendre. C’est notre mission de bergers, de sentinelles.

L’espoir ne peut pas mourir. La paix viendra. Elle dépend de chacun et de chacune !